Naruhito a officiellement accompli mercredi 1er mai ses premières obligations en tant que 126e empereur du Japon, promettant de se tenir toujours « au côté du peuple », au lendemain de l’abdication de son père Akihito.
Au cours d’un cérémonial très codifié de six minutes, au côté de son frère cadet devenu prince héritier, le nouveau souverain de 59 ans, vêtu d’un costume queue-de-pie et portant des attributs (un grand collier et des décorations), a acté son accession au trône.
Il s’est symboliquement vu attribuer les sceaux royaux et les trésors sacrés, une épée, un joyau et un miroir, dont la possession officialise son statut d’empereur, devant une assistance d’où les femmes de la famille impériale étaient exclues. La seule invitée était l’unique ministre féminine du gouvernement de Shinzo Abe.
L’empereur a ensuite prononcé son premier discours, cette fois en présence de son épouse Masako, arborant un diadème serti de diamants, et d’un plus large public composé d’un peu plus de 260 personnalités.
« Je m’engage à agir conformément à la Constitution et à remplir mes obligations de symbole de l’Etat et de l’unité du peuple, en ayant toujours le peuple à l’esprit et en me tenant toujours à son côté », a-t-il solennellement déclaré.
La veille, son père, Akihito, avait officiellement abdiqué, lors d’une courte cérémonie d’une dizaine de minutes, en présence de trois cents personnes, dont le premier ministre, Shinzo Abe. Akihito, vêtu d’un costume queue-de-pie, a prononcé un court discours : « J’exprime du fond du cœur ma gratitude au peuple du Japon qui m’a accepté comme symbole de l’Etat et m’a soutenu », a-t-il lu, reprenant la définition de son rôle inscrite dans la Constitution entrée en vigueur en 1947 et par laquelle l’empereur a perdu son statut semi-divin.
Ainsi, à minuit le 1er mai, le Japon est entré dans « Reiwa », nom donné à l’ère correspondant au règne du nouvel empereur, le 126e de la plus ancienne dynastie du monde.
Né en février 1960, Naruhito est l’aîné des trois enfants d’Akihito et de l’impératrice Michiko. Il fut le premier de la dynastie à être élevé par ses parents. Selon la tradition, son père avait été séparé, dès ses 3 ans, de ses parents, pour être confié à des chambellans et à des précepteurs. Il en avait souffert. En rupture avec les pratiques passées, il avait choisi de s’investir dans l’éducation de Naruhito, qui a dès lors bénéficié des soins de parents presque « normaux ». Sa mère, Michiko, lui préparait ses bentos quand il allait à l’école.
Joueur d’alto, Naruhito est amateur de tennis, de jogging et de randonnée. Très intéressé par la navigation maritime, il consacre ses études d’histoire, au début des années 1980, à l’université Gakushuin, à Tokyo, aux réseaux de transports dans la mer Intérieure (à l’ouest du Japon) au Moyen-Age.
Un nouveau couple impérial ouvert au monde
De 1983 à 1985, au Merton College de l’université britannique d’Oxford, il rédige une thèse sur le commerce sur la Tamise au XVIIIe siècle. « Comme ma vie ne me laisse que peu de chances de sortir librement, a-t-il déclaré, les routes sont pour moi un lien précieux vers des mondes inconnus. » Son intérêt s’est ensuite porté sur le rapport entre l’humain et l’eau, de l’accès à l’eau potable aux catastrophes provoquées par l’eau. Naruhito intervient régulièrement dans les conférences internationales sur ces sujets.
Son séjour britannique reste pour lui un excellent souvenir, qu’il a relaté dans un mémoire, Temuzu to tomoni : Eikoku no ninenkan (« auprès de la Tamise : mes deux années en Angleterre », aux éditions de l’université Gakushuin, 1993, non traduit). Ce séjour lui a permis de découvrir la sociabilité des pubs et de s’étonner des manières relativement détendues de la famille royale britannique : « La reine Elizabeth II se verse le thé et sert les sandwichs. »
Il a également pu apprécier la liberté de ton dont jouissaient les étudiantes, ce qui l’aurait incité à se chercher une épouse « ayant des idées bien à elle ». Son dévolu s’est rapidement porté sur Masako Owada, une roturière rencontrée lors d’un thé donné, en novembre 1986, en l’honneur de l’infante Elena d’Espagne. Fille du diplomate et ancien président de la Cour internationale de justice Hisashi Owada, diplômée d’Harvard et d’Oxford et sur le point de faire carrière au sein de la diplomatie nippone, Masako a fini, après deux refus, par accepter la demande en mariage du prince.
Le couple a une fille, Aiko, née en 2001, mais pas de fils. La pression subie par Masako pour donner au Japon un héritier mâle a largement contribué à la dépression dont elle souffre depuis 2003. Sa santé se serait améliorée, et elle reprend peu à peu, depuis 2012, ses activités officielles. De quoi faire espérer voir le nouveau couple impérial, multilingue et ouvert au monde, répondre aux attentes d’Akihito. Le retrait de l’empereur au profit de son fils aîné est significatif de sa tentative de mettre en harmonie avec son temps la fonction des descendants de la dynastie.
« Regarder le passé avec humilité »
Premier souverain du Japon à avoir été intronisé sous la Constitution de 1947, qui fait du monarque le « symbole de l’Etat et de l’unité du peuple » sans autres fonctions que protocolaires, Akihito est aussi le premier à abdiquer depuis l’empereur Kokaku (1771-1840).
L’abdication d’un empereur, pratiquée avant la restauration de Meiji (1868), avait été écartée dans les lois fondamentales de 1889 et de 1947. Il fallut une loi, en juin 2017, pour autoriser celle d’Akihito.
L’image de son père, l’empereur Showa (nom posthume d’Hirohito, les empereurs prenant à leur mort le nom de l’ère de leur règne), fut entachée par un expansionnisme commencé par l’invasion de la Chine en 1931, puis par la guerre du Pacifique dans laquelle il eut une part de responsabilité. Akihito s’est attaché, au cours des trente années de son règne, à rappeler les valeurs démocratiques et pacifistes sur lesquelles le Japon s’est reconstruit après la défaite de 1945.
Respectant la retenue que lui impose sa charge, il a toujours posé discrètement, au fil de ses discours, des balises à ne pas franchir pour maintenir la démocratie japonaise sur la voie tracée. Assumant le fardeau de l’ère Showa (1926-1989), il a sans cesse rappelé le Japon au devoir de mémoire pour les guerres qu’il mena, exprimant ses profonds remords pour les souffrances infligées par l’armée japonaise lors de ses visites à l’étranger et sur les champs de bataille de la guerre du Pacifique. C’est sur la voie de la continuité que se situe le nouveau monarque.
Naruhito porte un regard similaire à celui de son père sur le passé. A plusieurs reprises, il a appelé lui aussi « à regarder avec humilité » ce passé. Il avait appelé, en 2015, les générations qui ont vécu la guerre à « transmettre correctement à celles qui ne l’ont pas connue les expériences de l’histoire tragique du Japon ».
L’utilisation du terme « correctement » l’année du 70e anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale avait une signification particulière : elle marquait une discrète prise de distance des tendances révisionnistes, frôlant le négationnisme, de Shinzo Abe dont le grand objectif est une révision de la Constitution pacifique de 1947.
Le bilan de l’ère Heisei
« Reiwa » : tel est le nom de la nouvelle ère impériale qui commencera le 1er mai au Japon, avec l’avènement de l’empereur Naruhito à la suite de l’abdication de son père, Akihito. Le premier ministre Shinzo Abe a expliqué la signification de cette appellation : « Quand les cœurs sont en harmonie, la culture peut fleurir ». C’est le gouvernement qui a décidé du nom de l’ère, sans consulter le monarque. Reiwa succède à l’ère actuelle Heisei, ou « accomplissement de la paix ». Celle-ci avait commencé le 8 janvier 1989 avec le début du règne de l’empereur Akihito, au lendemain de la mort de son père, l’empereur Hirohito, et a duré trente ans. Chaque ère du Japon moderne et contemporain – associée à un empereur – correspond à une certaine période du développement du pays. Quatre chercheurs dressent un bilan de la grande transformation qu’ont connue la société et l’économie japonaise en trois décennies.
Source : Le Monde.fr