Du 11 mars 2011, on retient surtout le nom de Fukushima, ville et préfecture du centre du Japon, dont la centrale, installée près de la côte pacifique, est au cœur de la pire catastrophe nucléaire après celle de Tchernobyl en 1986.
Pourtant, à ce jour, le lourd bilan humain n’est pas dû à l’accident nucléaire mais bien à un séisme de magnitude 9,1 – le plus violent jamais ressenti au Japon – et surtout au tsunami qui s’en est suivi, dévastant 600 kilomètres de côte et causant la mort ou la disparition de 22 500 personnes, selon le ministère de la reconstruction japonais.
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Le séisme
Le vendredi 11 mars 2011, à 14 h 46 (6 h 46 à Paris), un séisme sous-marin d’une magnitude de 9,1 survient à 130 kilomètres au large de la côte est du Japon, dans l’océan Pacifique. L’ensemble de l’archipel est touché et la secousse est ressentie jusqu’à Pékin, à plus de 2 000 kilomètres. Pendant deux à trois minutes, les immeubles tanguent et des dégâts sont constatés, mais le Japon, habitué aux tremblements de terre, a des normes antisismiques élevées et encaisse le choc, dans un premier temps.
L’archipel du Japon est, en effet, situé sur la ceinture de feu du Pacifique, à la jonction de trois plaques tectoniques (les plaques pacifique, eurasienne et des Philippines) –, une zone sismique très active. Mais ce 11 mars, la magnitude atteint un record : ce n’est que la quatrième fois qu’on dépasse le niveau 9. L’île principale, Honshu, s’est même déplacée de 2,4 mètres vers l’est, selon l’Institut de géophysique américain. Le premier séisme a été suivi de nombreuses répliques, dont plus d’une cinquantaine de magnitude supérieure à 6.
Les séismes les plus violents
- Seuls quatre séismes ont été enregistrés à une magnitude supérieure à 9 :
Le 22 mai 1960, à Valvidia (Chili). Ce séisme a provoqué un tsunami causant la mort d’environ 5 700 personnes au Chili, à Hawaï et au Japon. Sa magnitude de 9,52 est la plus élevée jamais enregistrée.
Le 27 mars 1964, au large de l’Alaska. Un séisme de magnitude 9,3 au large de l’Alaska a causé la mort de 119 personnes aux Etats-Unis.
Le 26 décembre 2004, à Sumatra et dans l’océan Indien. Le tremblement de terre s’est produit au large de l’île indonésienne, avec une magnitude de 9,1 à 9,3. Le tsunami qui a suivi a frappé l’Indonésie, le Sri Lanka, l’Inde et l’ouest de la Thaïlande. Au moins 250 000 personnes sont portées disparues.
Le 11 mars 2011, sur la côte pacifique du Tohoku (Japon). L’épicentre de ce séisme de magnitude 9,1 se situe à environ 130 kilomètres au large de la côte orientale, et est suivi d’un tsunami meurtrier : 22 500 morts ou disparus.
- Deux autres séismes, de magnitude moindre, sont parmi les plus meurtriers :
Le séisme de 1976 à Tangshan (Chine), de magnitude 8,2, a fait officiellement 242 419 morts (trois fois plus selon d’autres sources).
Le 12 janvier 2010, à Haïti, un séisme de magnitude 7 et ses répliques ont fait plus de 200 000 morts.
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Le tsunami
Moins d’une heure après le violent tremblement de terre sous-marin, une alerte au tsunami est lancée. Celui-ci déferle sur la côte d’une vingtaine de pays, notamment sur l’intégralité de la côte pacifique de l’Amérique – de l’Alaska au Chili –, provoquant des évacuations de populations, mais faisant peu de victimes.
C’est sur la côte Pacifique du Tohoku, au nord-est du Japon, que s’abat principalement la vague géante. Plus de 600 kilomètres de côte sont touchés et, par endroits, le mur d’eau aurait atteint jusqu’à trente mètres de haut. L’eau est entrée dans les terres de manière très variable, de quelques centaines de mètres à Fukushima à plus de dix kilomètres dans les vallées de la région du Sanriku.
Sendai, Minamisanriku, Rikuzentakata… les villes côtières et leurs ports sont submergés, certaines détruites à 90 %. Des carcasses de voitures, de bus ou de trains gisent au milieu de paysages dévastés. Au port d’Onagawa, un navire est perché sur un bâtiment de trois étages, témoin de la hauteur de la vague. Les corps, eux, sont encore invisibles, emportés par la vague.
Le système d’alerte japonais n’a pas parfaitement fonctionné, sous-estimant la magnitude du séisme et donc l’ampleur du tsunami engendré. De plus, certaines villes avaient fait le choix de se barricader derrière des digues pour se protéger de la mer, créant un faux sentiment de sécurité. Ce 11 mars, toutes sont submergées ou détruites, même les plus élaborées. A Taro, ville alors montrée en exemple, le rempart de protection de dix mètres érigé sur le littoral est dépassé d’au moins cinq mètres par la vague. Les quartiers construits derrière la digue sont rasés. Malgré cet échec, le Japon a fait le choix de construire de nouvelles digues, plus hautes, sur près de 400 kilomètres.
Le bilan confirmé en décembre 2020 s’élève à 15 899 morts, selon la police nippone. Les victimes se concentrent dans les trois préfectures de Miyagi, d’Iwate et de Fukushima, et la mortalité est due, pour plus de 90 %, à des noyades. Plus de 2 500 personnes sont aussi toujours officiellement portées disparues.
Plusieurs sites industriels ont été touchés par l’onde du tremblement de terre et la violence du tsunami, comme la raffinerie Ichihara, en proie à un violent incendie, et quatre centrales nucléaires : Fukushima Daiichi, Fukushima Daini, Onagawa et Tokai.
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L’accident nucléaire
C’est dans une zone apparemment intacte que se joue le troisième acte de la catastrophe : la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, gérée par Tepco (Tokyo Electric Power). A 21 h 25, une alerte de précaution est lancée : le système de refroidissement est en panne – l’eau a envahi les installations, coupé l’alimentation électrique et noyé les générateurs diesel de secours.
La température se met alors à grimper rapidement dans la cuve des réacteurs 1, 2 et 3, mais également dans les piscines où sont entreposés les combustibles usagés : l’évaporation menace de mettre à l’air libre des matières hautement contaminées.
Le lendemain, samedi, une première explosion a lieu. Les autorités se veulent rassurantes, mais le risque est sous-évalué. Une deuxième explosion se produit le lundi, suivi d’une troisième le mardi 15 mars. Les cœurs de trois réacteurs sont en fusion, la piscine du réacteur 4, victime d’une fuite, entre en ébullition : la situation semble ingérable. Il faudra attendre un mois avant que l’accident nucléaire, d’abord estimé à 4, soit relevé à 7, le plus haut niveau de l’échelle internationale des événements nucléaires, seulement atteint par Tchernobyl.
Jour après jour, on parvient à faire baisser la température et les radiations, et le 5 mai, une première équipe peut pénétrer brièvement à l’intérieur du réacteur numéro 1. Malgré une nouvelle alerte à la fusion, début novembre, la situation est maîtrisée.
Les catastrophes nucléaires
- 6 et 9 août 1945 : Hiroshima et Nagasaki (Japon)
Les bombardements atomiques américains sur les deux villes japonaises ont fait environ 300 000 morts durant la seconde guerre mondiale. C’est la seule fois où l’arme nucléaire a été utilisée de façon opérationnelle.
- 29 septembre 1957 : Kychtym (Russie)
C’est le premier accident nucléaire grave répertorié, il est classé au niveau 6 de l’échelle internationale des événements nucléaires, qui en compte sept. Plus de 200 personnes seraient mortes de cancers à la suite de l’explosion d’un réservoir de déchets nucléaires liquides.
- 26 avril 1986 : Tchernobyl (Ukraine, ex-URSS)
Un réacteur explose lors de la réalisation d’un essai technique et le combustible nucléaire brûle pendant dix jours, rejetant dans l’atmosphère des produits radioactifs qui contamineront les trois quarts de l’Europe. L’accident est classé au niveau 7, le plus élevé. Le nombre de victimes est contesté : jusqu’à 4 000, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), mais d’autres études évoquent 60 000 décès dus à des cancers.
- 11 mars 2011 : Fukushima Daiichi (Japon)
L’accident nucléaire, déclenché à la suite d’un séisme et d’un tsunami, est classé au niveau 7. Officiellement, on déplore un seul mort, un employé décédé d’un cancer du poumon. Certains doutent que l’on soit en mesure d’évaluer, un jour, les conséquences de l’exposition aux radiations. 2 300 réfugiés forcés d’évacuer la province et morts prématurément sont considérés comme des « morts liées au désastre ».
En France, les accidents nucléaires les plus graves (niveau 4) ont eu lieu à la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher) en octobre 1969 et en mars 1980.
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Les évacuations et les conséquences environnementales
L’impact sur l’environnement n’est pas tout de suite reconnu, alors même que, depuis le 15 mars, le vent pousse les émanations radioactives vers l’intérieur des terres et non plus vers le large. Les produits comme la viande ou le lait de Fukushima sont, finalement, interdits et des légumes sont jugés impropres à la consommation jusqu’à 100 kilomètres au sud de la centrale. Le 21 mars, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que la contamination de l’eau et des aliments crée une « situation grave ».
Au lendemain de l’accident, le gouvernement décide d’évacuer les habitants autour de la centrale, mais le périmètre, d’abord très réduit (deux kilomètres), ne cessera d’évoluer (jusqu’à 20 ou 30 kilomètres). Au total, 95 000 habitants ont reçu un ordre d’évacuation, mais d’autres, désignés comme des « réfugiés volontaires », ont choisi de partir. Les autorités japonaises estiment que plus de 2 300 personnes sont mortes de façon prématurée en raison des défaillances des structures médicales et des conditions de vie difficiles, liées à l’évacuation.
Le gouvernement japonais, à l’inverse de Tchernobyl, s’est lancé dans un chantier considérable de décontamination des sols, afin de rendre la zone de nouveau habitable. Mais sur les quelque 160 000 réfugiés, 36 200 vivent toujours ailleurs aujourd’hui.
Des tonnes d’eau contaminée ont été déversées dans le Pacifique, volontairement ou à la suite de fuites. Et la gestion de l’eau, qui sert encore aujourd’hui à refroidir les réacteurs, est l’un des problèmes majeurs pour le Japon. L’eau est stockée dans des réservoirs géants, mais le site aura atteint sa capacité de stockage maximale en 2022. L’option la plus probable est que le gouvernement la déverse progressivement dans l’océan, après en avoir extrait la plupart des éléments radioactifs.
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La reconnaissance des responsabilités
Le 5 juillet 2012, une commission d’enquête mandatée par le Parlement conclut que l’accident nucléaire de Fukushima n’a pas simplement été provoqué par le séisme et le tsunami géant mais qu’il s’agit d’un « désastre créé par l’homme ».
« L’accident (…) est le résultat d’une collusion entre le gouvernement, les agences de régulation et l’opérateur Tepco, et d’un manque de gouvernance de ces mêmes instances. » « La direction de Tepco était consciente des retards dans les travaux antisismiques et des mesures contre les tsunamis et savait que Fukushima Daiichi était vulnérable. »
Le rapport reproche également à l’opérateur de ne pas avoir réagi suffisamment vite dans les premières heures de l’accident.
Le 5 septembre 2018, le Japon a reconnu pour la première fois qu’un employé de Fukushima atteint d’un cancer du poumon était mort des suites d’une exposition aux radiations. Au total, six cas de travailleurs ayant développé un cancer et une leucémie ont été considérés comme des accidents du travail. A Fukushima, les populations ont été exposées à des doses dix à cent fois inférieures à Tchernobyl, l’accroissement des cancers pourrait donc apparaître bien plus tard. Certains doutent que l’on soit un jour en mesure d’évaluer précisément les conséquences de l’exposition aux radiations de Fukushima.
Le 30 septembre 2020, un tribunal affirme la responsabilité de Tepco et du gouvernement japonais dans la catastrophe de Fukushima. Selon la Haute Cour de Sendai, ils auraient fait preuve de négligences en ne mettant pas en œuvre les mesures de prévention nécessaires, alors que les risques étaient connus. Cette décision pourrait créer un précédent pour la trentaine de procédures en cours dans le pays. Le gouvernement a toujours affirmé qu’il n’avait pu empêcher ni le tsunami ni l’accident nucléaire.
Source : Le Monde.fr