Rompant avec ses positions officielles sur la biodiversité et bravant les critiques internationales, le Japon reprend la chasse baleinière à des fins commerciales.
Après une cérémonie pour une pêche fructueuse et en toute sécurité, cinq baleiniers ont appareillé, lundi 1er juillet, de Kushiro, dans le département d’Hokkaido (Nord). Trois autres depuis Shimonoseki, dans le département de Yamaguchi (Sud-Ouest). Les deux villes sont des ports de vieille tradition baleinière.
Pour empêcher la surpêche, l’agence gouvernementale des pêches a fixé un quota de prises à 227 baleines, dont 52 baleines de Minke, 150 rorquals de Bryde et 25 rorquals de Rudolphi.
La relance de cette activité après trente-trois ans d’interruption suit le retrait du Japon, il y a six mois, de la Commission baleinière internationale (CBI). L’organisme créé en 1948 et chargé de protéger les populations de cétacés avait auparavant retoqué une énième demande nippone d’autoriser la chasse commerciale, soumise à moratoire depuis 1986. Le Japon en était membre depuis 1951.
17 000 baleines pêchées en trente et un an
Malgré ce moratoire, des dérogations ont permis au Japon de s’y livrer sous couvert d’études scientifiques. Le pays a pêché près de 17 000 baleines en trente et un ans, principalement dans l’océan Antarctique et le Pacifique Nord. Le retrait de la CBI cantonne la chasse aux eaux territoriales nippones.
La reprise de l’activité à des fins mercantiles bénéficie du soutien du premier ministre, Shinzo Abe, et de plusieurs élus, tel Toshihiro Nikai, secrétaire général du Parti libéral démocrate (PLD) au pouvoir. M. Abe est élu du département de Yamaguchi et M. Nikai de celui de Wakayama, où se trouve Taiji, dont la pratique de la pêche aux dauphins fit l’objet d’un documentaire critique de Louie Psihoyos, The Cove (2009), récompensé d’un Oscar.
La dernière initiative nippone a été qualifiée de « rétrograde et obtuse » par Kitty Block, présidente de l’organisation Humane Society International, ajoutant qu’elle « affectait la réputation internationale du Japon, au nom d’une industrie dont les jours sont clairement comptés ». Jeff Hansen, de l’association Sea Shepherd, rappelle « le rôle essentiel » des baleines « pour l’état des océans et des écosystèmes marins ».
« Il y a clairement une intention provocatrice, quasi nationaliste dans la relance de la chasse commerciale », regrette Patrick Ramage, chargé de la vie marine au Fonds international du bien-être animal.
Une nouvelle fois, la chasse baleinière expose le Japon à la critique internationale. En 2014, il avait été condamné par la Cour pénale internationale, après une plainte déposée en 2010 par l’Australie, qui ne voulait plus que « les baleines soient tuées au nom de la science dans l’océan Austral », expliquait alors son ministre de l’environnement, Peter Garrett.
Faibles ventes
Cela n’avait pas empêché l’Archipel de poursuivre la chasse « scientifique », ce qui a surpris de la part d’un pays dont le chef de gouvernement prône le respect du droit international.
Avec la chasse commerciale, M. Abe place aussi le Japon face à une apparente contradiction puisque l’activité reprend deux jours après la signature en grande pompe de la déclaration finale du G20 d’Osaka. Les participants y reconnaissent l’urgence de « traiter des problèmes et des défis globaux complexes » concernant l’environnement, notamment la « perte de biodiversité ». L’annonce des quotas auraient été faite après le G20 pour éviter les critiques pendant la rencontre.
Quant à la viabilité économique de l’activité, elle interroge. Les ventes de viande de baleine issues de la chasse scientifique restent faibles, malgré des campagnes pour les relancer. Dans le Japon des années d’après-guerre, le cétacé constituait un apport nutritionnel important et était abondamment servie dans les cantines scolaires. Aujourd’hui, les Japonais n’en consomment pas plus de 50 grammes par personne et par an, contre 4,3 kg avant le moratoire de 1986.
« Au cours des trente dernières années, des aliments variés ont fait leur apparition au Japon. Il y a tant de choses à manger, explique à Reuters Kazuo Yamamura, président de l’association japonaise de pêche à la baleine. Nous ne sommes plus au temps où prendre beaucoup de baleines rendait riche. » Les stocks d’invendus atteindraient plusieurs milliers de tonnes. La chasse est toutefois portée par de généreuses subventions, budgétées en 2019 à hauteur de 5,1 milliards de yens (41,5 millions d’euros).
Source : Le Monde.fr