Le Français Clément Sans est récemment devenu moine zen, ordonné sous le nom de Tozan (« la montagne du pêcher »). Chaque mois, il nous envoie une lettre qui nous fait partager ses réflexions et son quotidien singulier, presque hors du temps. Après deux ans passés au temple Antai-ji, dans les montagnes de l’île Honshu, il poursuit désormais sa pratique à Kyoto, l’ancienne capitale impériale du Japon.
Lettre d’octobre. Kyoto est brusquement tombée dans le froid. La pluie d’automne, celle que les Japonais aiment tant et qui annonce les récoltes de ces champignons que l’on pourra mélanger au riz chaud, est revenue sur la vieille capitale. Plus haut, le mont Hiei, comme un rempart sacré protégeant des esprits, domine la ville dans un ourlet de brume.
Dans les temples, le mois d’octobre s’ouvre avec la cérémonie du darumaki, l’anniversaire de la mort de Daruma Daishi. Mieux connu en Occident sous le nom de Bodhidharma, il est le premier patriarche chinois et fondateur de l’école Chan. Celui-là même qui, au Ve siècle, médita durant neuf longues années face au mur d’une grotte, stationnant dans un recueillement strict, l’esprit calme et concentré. C’est de cette pratique de la simple assise, rapportée au Japon par Eisai après un voyage en Chine à la fin du XIIe siècle, que le zen contemporain est l’héritier.
Mais, au-delà des marques de gratitude et des services commémoratifs organisés dans tous les temples zen du pays, que veulent donc dire cette dévotion aux anciens maîtres et ces mots tant répétés dans notre tradition, « suivre la voie des patriarches » ? Ces commémorations, qui soulèvent la question de la place et de la représentation des « maîtres » dans le bouddhisme, ont cette année une résonance toute particulière.
Ce qui se cache derrière les abus dans le bouddhisme
J’ai reçu depuis la France de nombreux messages m’informant d’un scandale traversant les communautés bouddhiques tibétaines en Europe (après la diffusion sur Arte de l’enquête « Bouddhisme, la loi du silence », le 13 septembre à la télévision et depuis le 6 septembre sur arte.tv). Violences sexuelles, pressions psychologiques, détournement d’argent… Il est toujours sain que « la parole se libère », que les victimes accusent, que la souffrance soit entendue, permettant je l’espère une justice ferme et éclairée.
En tant que moine zen vivant au Japon, je n’ai proprement rien à dire des traditions tibétaines, qui me sont absolument inconnues. Le dalaï-lama, pour les moines japonais, est aussi important qu’un chanteur de variété, et les maîtres tibétains des différentes traditions ne représentent tout simplement rien dans l’orthodoxie de notre pratique. Peut-être d’ailleurs y a-t-il plus de distance entre le bouddhisme japonais et les traditions tibétaines qu’entre les chrétiens et les musulmans.
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Source : Le Monde.fr