C’est à un objet du quotidien du XIXe siècle japonais que le Musée national des arts asiatiques Guimet consacre sa nouvelle exposition, « Hiroshige et l’éventail, voyage dans le Japon du XIXe siècle ». Un accessoire qui, à l’époque, « ne valait guère plus qu’un bol de nouilles », comme le rappelle Vincent Lefèvre, directeur de la conservation et des collections de l’établissement. Utilisé communément par les hommes comme par les femmes pour se rafraîchir pendant les mois chauds et humides, l’éventail plat (uchiwa) – qui se distingue de l’éventail plissé –, réalisé en bambou et papier, était vendu à la criée dans la rue ou dans des kiosques. Orné de fleurs, d’animaux, de visages ou de paysages, l’accessoire devint un support d’expression pour les artistes de l’estampe.
Objets de consommation périssables, ces éventails n’ont, sauf rares exceptions, pas été conservés. Mais des modèles, non découpés et non montés sur armature, rangés dans des albums par les éditeurs, à l’abri de la lumière et des manipulations, ont échappé à la destruction. Les œuvres que présente l’exposition sont signées d’Utagawa Hiroshige (1797-1858), l’un des maîtres de l’époque Edo (1603-1868), dont les gravures de paysages jouèrent un rôle majeur dans l’essor du « japonisme » en Europe.
Célèbre, notamment, pour ses séries d’estampes consacrées aux routes du Tokaido (1833-1834) et du Kisokaido (1835-1838), le peintre produisit plusieurs centaines de décors différents destinés à orner des éventails. Les pièces exposées sont issues de la très riche collection de Georges Leskowicz, Franco-Polonais passionné d’estampes nipponnes, qui détient un fonds exceptionnel de premiers tirages, ces exemplaires précieux résultant du premier passage de la feuille de papier sur la planche de bois gravée lors du processus d’impression.
Compositions astucieuses
L’exposition se tient dans la rotonde du deuxième étage, où les œuvres sont mises en valeur par une scénographie raffinée, aux couleurs vert et rose pastel. Tout l’univers d’Hiroshige – paysages variant selon les saisons, portraits de femmes, faune et flore luxuriante – s’y déploie sur le format en ellipse de l’éventail qui permet à l’artiste de tenter des compositions astucieuses, jouant de sa forme pour faire surgir une vague, disparaître un vol de cigognes. Les brassées de fleurs aux dégradés délicats s’offrent en bouquets sur les feuilles aux coins arrondis.
On admire la splendeur des couleurs et, en particulier, le bleu de Prusse, importé de Hollande, qui entre alors dans la palette des artistes nippons. Hiroshige l’utilise abondamment pour donner aux cieux, lacs, mers et cours d’eau une teinte aussi intense que lumineuse. Brume légère, lever de soleil sur le lac, soir de lune : le peintre marie le blanc, le rose et l’orange pour créer de beaux jeux de lumière dans la série Huit Vues d’Omi, présentée ici dans son intégralité – il n’en existe que deux exemplaires complets au monde.
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Source : Le Monde.fr