Les érables ont tous perdu leurs feuilles et une odeur aigre se répand aux abords d’un temple dont on devine la forme sous la vapeur d’eau. Dans la montagne, au sud-est de la touristique ville de Nara, non loin de l’impériale Kyoto, des moines bouddhistes de l’école ésotérique Shingon sont alignés face à un grand baril de riz. Devant eux, du saké en préparation.
Nous sommes en janvier 2023 et se tient, au temple bouddhique Shoryaku, la cérémonie annuelle lors de laquelle les moines locaux prient pour la bonne fermentation du saké. Les bonzes s’adressent en musique aux esprits du shinto, ces dieux nippons peuplant la nature. Puis ils récitent le sutra du cœur, court enseignement bouddhique louant la vacuité du monde.
Les chants s’arrêtent et, quittant son air solennel, l’abbé du temple s’empare d’un micro en regardant la foule présente pour l’occasion : « Une fois les explications historiques terminées, il faudra quand même que vous alliez goûter le saké proposé à l’entrée du temple, car tant qu’il y a du saké, il y a du bonheur ! »
Pourquoi un abbé de temple bouddhique prie-t-il les esprits shintoïstes en louant la consommation d’alcool ? Il faut, pour le comprendre, revenir sur les origines de cette boisson emblématique du Japon, pays à l’honneur cette semaine en France, à l’occasion de la Japan Expo à Paris (13-16 juillet).
Le saké, la boisson des dieux
Le saké est un alcool fermenté produit à base d’eau, de riz et de koji, un champignon permettant d’enclencher la saccharification de l’amidon contenu dans le riz, essentielle au processus de fermentation alcoolique.
Le breuvage, dont le degré alcoolique se situe en moyenne à 15 %, se décline en une infinité de variétés, dépendant chacune du riz utilisé et de son polissage, des techniques de fermentation utilisées, des levures, des temps de cuisson, du vieillissement, etc. Ce grand ensemble hétéroclite se regroupe au Japon sous le terme de nihonshu, littéralement « alcool japonais », montrant par là le caractère identitaire de la boisson.
Mais le saké est d’abord une boisson d’origine religieuse. Comme le note le géographe Nicolas Baumert (Le Saké. Une exception japonaise, Presses universitaires François-Rabelais, 2011), le Japon n’a pas suivi la tendance, présente dans le reste de l’Asie sinisée, conduisant à délaisser la fermentation du riz pour se reporter vers des alcools distillés, à partir du XIIIe siècle. Et pour cause : à la différence d’autres boissons, le saké n’est pas uniquement récréatif ou à but médicinal : il constitue aussi un élément spirituel puissamment enraciné dans la conscience collective des Japonais.
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Source : Le Monde.fr