Le Français Clément Sans est récemment devenu moine zen, ordonné sous le nom de Tozan (« la montagne du pêcher »). Chaque mois, il nous envoie une lettre qui nous fait partager ses réflexions et son quotidien singulier, presque hors du temps. Après deux ans passés au temple Antai-ji, dans les montagnes de l’île de Honshu, il poursuit désormais sa pratique à Kyoto, l’ancienne capitale impériale du Japon.
Lettre de juillet. La saison des pluies vient de se terminer. Kyoto est désormais plongée dans une lourde et pesante chaleur, la pression du soleil étant parfois contrée par les discrètes ombrelles des Japonaises cherchant l’ombre à tout prix. Partout, le chant des cigales résonne comme une lente et patiente liturgie. Les enfants se ruent sur les glaces au thé, les vieillards agitent leurs éventails, tout en parlant de météo.
Dans les anciens cafés de la ville disposant d’un téléviseur, c’est pourtant une tout autre chaleur qui souffle en boucle sur les chaînes d’informations, celle venant d’une France traversée d’émeutes, en feu et en désordre, comme un morceau du monde projeté dans un Japon où la sécurité est un pilier autour duquel tout tourne.
Cette malheureuse actualité nous évoque un sujet parfois savamment contourné : quid de la violence dans le bouddhisme japonais ? « Comment des bouddhistes peuvent-ils être violents ? », se demande parfois un certain public pétri de stéréotypes, faisant des moines des êtres purs et parfaits. De la guerre civile du Sri Lanka (1983-2009) au nettoyage ethnique contre la minorité musulmane des Rohingya en Birmanie, l’actualité ne manque pourtant pas d’exemples où les bouddhistes sont ceux qui tiennent les armes.
Dans le bouddhisme originel, suivant un principe d’interdépendance, la violence envers un seul être se répercute sur tous les êtres, soi compris, faisant de la non-violence un concept absolument vital. Mais une religion ne repose pas que sur des principes. Elle repose aussi sur une histoire, des rites, des traditions, des dispositifs culturels, et les sociétés bouddhistes ne diffèrent pas des autres sociétés humaines à cet égard. « Nous tous – même ceux qui sont bouddhistes – sommes profondément habitués à des modes d’être égocentriques. En effet, si ce n’était pas le cas, il n’y aurait pas besoin de pratique bouddhique », écrivait tout logiquement le philosophe des religions Daniel Arnold, dans un article du New York Times (13 janvier 2019).
Au Japon, l’interdiction de la violence n’est pas systématiquement condamnée par un code moral s’imposant à toute la communauté des moines, comme cela peut être le cas dans d’autres traditions bouddhistes. Sans pour autant être encouragée, il faut reconnaître que le principe de non-violence n’a pas totalement pénétré le bouddhisme japonais.
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Source : Le Monde.fr