LETTRE DE TOKYO
A la veille du 50e anniversaire du retour de l’archipel d’Okinawa sous administration japonaise, le 15 mai, l’amertume domine dans cet archipel méridional du Japon où sont concentrées les bases militaires américaines. Dans un pays où la grande presse est souvent peu combative, les deux quotidiens régionaux, Okinawa Times et Ryukyu Shimpo (« nouvelles des Ryukyu »), concurrents pour l’audience et les annonceurs, ont néanmoins la même ligne éditoriale : pacifisme, opposition à la révision de la Constitution, qui interdit au Japon le recours à la force armée dans le règlement des différends internationaux, et critique du peu de cas que fait le gouvernement central de l’opinion des Okinawaïens. L’un et l’autre sont le fer de lance du combat contre la présence des bases militaires américaines.
Le traité de San Francisco, signé le 28 avril 1951, par lequel le Japon recouvrait sa souveraineté, laissait Okinawa sous administration américaine. Un abandon perçu comme une trahison de Tokyo, qui avait annexé, en 1879, le petit royaume indépendant et prospère des Ryukyu. Okinawa resta pendant vingt-sept ans sous occupation américaine, avant de revenir dans le giron japonais en 1972. Mais les bases sont demeurées, accueillant aujourd’hui 70 % des 48 000 GI déployés au Japon. Okinawa est le département qui paye le plus lourd tribut à la présence militaire américaine dans l’archipel.
La presse locale se fait l’écho du mécontentement des habitants en menant un combat au quotidien avec, dans le cas d’Okinawa Times, une particularité : c’est le seul quotidien au Japon à avoir une femme à la tête de sa rédaction. Kazue Yonamine est la deuxième femme rédactrice en chef du journal, après Akiko Yui, qui occupa ce poste au début des années 1990. Une femme fut rédactrice en chef du Kobe Shimbun mais, depuis 2018, Mme Yonamine est la seule à occuper de telles fonctions dans la presse japonaise. Sa carrière ne fut pas facile.
« Craintes et colère »
« Le niveau de vie à Okinawa est le plus bas au Japon et la majorité des femmes, même mariées, ont toujours travaillé, explique-t-elle lors d’un entretien accordé au Monde. Aussi n’avais-je pas conscience de la discrimination qu’elles subissaient lorsque j’ai postulé pour un poste de journaliste au Okinawa Times. Je n’ai été embauchée qu’à la suite de ma troisième tentative, en 1990, avec quatre autres filles. »
Correctrice puis reporter à la rubrique chargée de la police, elle s’est retrouvée dans un monde exclusivement masculin à passer des soirées « à boire avec des policiers pour obtenir des scoops ». Comme elle était une femme, ses supérieurs pensaient qu’elle obtiendrait plus facilement des informations. « Un jour, j’ai craqué et j’ai dû prendre six mois de congés pour sortir de ma dépression. » A son retour à la rédaction, elle fut affectée à la rubrique sociale, où elle mena, entre autres, une enquête sur la pauvreté qui lui valut un prix de journalisme, puis elle suivit la question des bases militaires américaines.
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Source : Le Monde.fr
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