LETTRE DE TOKYO
C’est toujours une piqûre de rappel. Chaque puissant séisme à travers le monde, comme celui qui a récemment frappé le Maroc, rafraîchit la mémoire aux Japonais à propos du risque pesant sur un archipel situé sur la « ceinture de feu » du Pacifique, à la convergence de trois plaques tectoniques dont l’entrechoquement menace directement Tokyo et sa périphérie.
Un récent billet paru dans le quotidien Asahi fustige la formule employée régulièrement par les hommes politiques nippons lorsque se produit une catastrophe : « Ce qui vient de se produire était inattendu. » Du séisme de Kobé en 1995, effectivement imprévisible dans cette région, au désastre nucléaire de Fukushima en 2011, qui ne l’était pas en raison des mises en garde des sismologues sur la nécessité de construire une digue plus haute protégeant la centrale, l’« inattendu » brandi par les politiques relève de l’autojustification absolutoire, sinon de l’incompétence, poursuit le journal, qui estime que « la menace d’un désastre aux effets inimaginables pèse toujours sur Tokyo ».
Le puissant séisme marin de magnitude 9 qui se produisit en 2011 dans le Pacifique, au nord-est de la région du Tohoku, et provoqua le tsunami dévastateur (18 500 morts ou disparus) a fait voler en éclats le mythe sécuritaire d’un archipel à l’abri des désastres entretenu par les autorités. Et, aujourd’hui, s’il est une catastrophe attendue, c’est bien un tremblement de terre de grande ampleur frappant la capitale. Dans le cas de ce « Big One », il sera difficile de dire qu’il était « inattendu » : la question n’est pas s’il aura lieu, mais quand.
Les quartiers de la baie très vulnérables
Selon les estimations officielles, il y a 70 % de chances qu’un séisme d’une magnitude de 7,3 ou plus frappe la région de Tokyo dans les vingt-cinq à trente prochaines années. Or, la flaque urbaine que forment la capitale et ses départements limitrophes compte pas moins de 37,5 millions d’habitants. Selon les dernières projections datant de 2022, malgré le renforcement des structures antisismiques, le « Big One » ferait plus de 6 000 morts et 93 000 blessés, et entraînerait la destruction de plus de 600 000 habitations dans les 23 arrondissements de la capitale japonaise.
La menace est d’autant plus présente dans les esprits que vient d’être commémoré le centenaire du grand séisme du Kanto, le 1er septembre 1923, qui provoqua la mort de plus de 100 000 personnes et fit de Tokyo et de Yokohama des « déserts de cendres rougeâtres » attisées par le vent d’un typhon, écrit Paul Claudel dans A travers les villes en flammes. Le 1er septembre est depuis devenu le jour où les Japonais sont censés réaliser des exercices pour se préparer à une nouvelle catastrophe, mais les autorités municipales s’inquiètent du recul du sens du danger dans la population.
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Source : Le Monde.fr
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