Vue aérienne de Tokyo, le 19 juillet 2021. Vue aérienne de Tokyo, le 19 juillet 2021.

LETTRE DE TOKYO

« Non à la guerre ! Non aux bombardements des populations civiles ! », pouvait-on lire il y a quelques jours sur une pancarte tenue par une femme âgée, solitaire, à la sortie d’une station de métro du centre de Tokyo. Fumiko Miura avait 6 ans lorsque, dans la nuit du 9 au 10 mars 1945, les quartiers du nord-est de la capitale où habitait sa famille furent frappés par des bombes incendiaires lâchées par des B-29 américains. Elle réchappa de cet enfer de flammes mais n’a pas oublié l’horreur dont elle fut le témoin.

Bouleversée par les images de l’Ukraine sous les bombes russes, elle est venue en ce lieu passant avec son message écrit à la main. « Je ne comprends rien à cette guerre mais ce que je sais c’est que les populations civiles ne sont jamais coupables », dit-elle.

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Trois heures durant au cours de cette nuit de mars 1945, plus 300 « forteresses volantes » déversèrent 1 600 tonnes de bombes et de cylindres de napalm sur des quartiers densément peuplés mais dépourvus d’installations militaires. Avec plus de 100 000 morts, le nombre de victimes dépasse celui des atomisés emportés sur le coup (75 000) lors du bombardement d’Hiroshima, le 6 août 1945 (dans les semaines et les mois qui suivirent, le nombre de victimes continua d’augmenter, avec 140 000 morts à la fin de 1945).

Bien que de loin le plus meurtrier, le raid sur Tokyo resta une note en bas de page de l’histoire au regard des bombardements nucléaires sur Hiroshima et Nagasaki

Les hommes étant pour beaucoup au front, les victimes furent en majorité des femmes, des enfants et des personnes âgées. Elles périrent brûlées vives, asphyxiées ou ébouillantées pour celles qui s’étaient précipitées dans des canaux sans savoir que l’eau était en ébullition tant la chaleur était intense. Les flammes se reflétaient sur la carlingue argentée maculée de traînées noires de suie des bombardiers volant à basse altitude.

« Le cœur de Tokyo est annihilé », écrivait à l’époque New York Times. Une soixantaine de villes japonaises subirent un sort analogue. Bien que de loin le plus meurtrier, le raid sur Tokyo resta une note en bas de page de l’histoire de la guerre du Pacifique au regard des bombardements nucléaires sur Hiroshima et Nagasaki.

Une tactique pour saper le moral de l’adversaire

Cette tactique de bombardement indiscriminé des populations civiles visant à saper le moral de l’adversaire avait commencé avec les raids japonais sur la Chine dans les années 1930 auxquels succédèrent avec plus d’ampleur ceux de l’Allemagne nazie sur Londres puis des Alliés sur Hambourg et sur Dresde. Elle atteint son paroxysme à Tokyo. « Il n’y a pas de civils innocents », proclamait le général Curtis LeMay qui commanda l’opération, reconnaissant néanmoins : « Nous avons intérêt à gagner sinon nous serons poursuivis pour crimes de guerre. »

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Source : Le Monde.fr

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