Le patron du groupe japonais, qui a fait tomber Carlos Ghosn, endosse la figure du sauveur pour redresser la situation. Mais il oublie un peu vite sa part de responsabilité, observe Philippe Escande, éditorialiste économique au « Monde ».
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Chronique « Pertes & profits ». Le théâtre nô puise ses racines dans les contes et drames lyriques du XIIIe siècle japonais, mettant en scène les relations complexes entre les maîtres shoguns et leurs chevaliers samouraïs. Il se distingue par son dépouillement, sa codification des situations et les masques des acteurs. Il leur suffit d’en arborer l’un des 138 exemplaires pour changer de personnage et se fondre dans un autre caractère. Hiroto Saikawa, le patron de Nissan, portait jusqu’à présent le masque du procureur, celui qui a fait tomber son maître, le puissant shogun Carlos Ghosn. Mardi 14 mai, il avait plutôt le visage de l’humble travailleur qui présente ses excuses pour son retard, blâme son supérieur et promet de retrousser ses manches.
La nouvelle pousse en effet à l’humilité. La société Nissan a enregistré, sur son exercice 2018-2019, la plus mauvaise performance depuis une décennie et prévoit que l’année qui vient sera pire encore. Déjà en recul de 57 % l’an dernier, le bénéfice devrait encore baisser de 28 % sur l’exercice 2019-2020. Sa marge opérationnelle, indicateur-clé dans le secteur, devrait s’effondrer cette année à 2 %, quand les ténors du secteur, comme son compatriote Toyota, naviguent entre 7 % et 8 %.
Mais ce n’est pas sa faute, mais celle de Carlos Ghosn, qui a poussé inconsidérément à l’expansion des ventes, aux Etats-Unis et dans les pays émergents, au prix de nombreuses promotions et au détriment de la marge bénéficiaire. Cela n’a d’ailleurs pas suffi à provoquer un effondrement des ventes américaines.
Alors que l’on s’arrache là-bas les fameux pick-up, ces gros 4 x 4 utilitaires à plateau, les siens, comme les modèles Frontier et Titan, ont chuté de 12 % et 21 % sur les quatre premiers mois de 2019. Bref, comme le dit M. Saikawa, « ceci est l’héritage de la précédente direction ». C’est l’avantage du théâtre nô : en changeant de masque, on oublie le personnage que l’on était juste avant. Car la précédente direction, c’était déjà lui. Il est directeur général de Nissan depuis 2016.
Gouvernance peu transparente
Alors, pour faire oublier tout cela, il adopte la figure du sauveur et se donne trois ans pour redresser la situation. D’abord avec des réductions de personnels (4 800 employés) et une diminution de la production, puis un réinvestissement dans les nouveaux modèles, dont il entend accélérer la rotation.
Dans le nô, l’histoire compte peu ; elle est toujours peu ou prou la même. Seules importent la subtilité du jeu des acteurs et la délicatesse des chorégraphies. Pour l’instant, les spectateurs du drame Nissan ne semblent pas convaincus. Les investisseurs déplorent la gouvernance guère transparente de l’entreprise, qui n’a pas tenu ses propres prévisions, et la perte de valeur.
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