En quête d’une identité nouvelle, l’Archipel, par l’intermédiaire du premier ministre Shinzo Abe, souhaite s’affranchir de la Constitution de 1947 afin que le pays dispose d’une force militaire qui ne soit plus uniquement défensive.
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L’ère Heisei s’achève en laissant ouverte la question de la place du Japon sur la scène internationale. Les bouleversements planétaires et internes à l’Archipel l’appellent à affirmer une identité nouvelle à définir. Depuis son basculement dans la modernité au XIXe siècle, le Japon a tendu à se couper du reste de l’Asie, son berceau culturel et historique. C’est pour « sauver » ses voisins du joug des puissances coloniales qu’il les a mis sous le sien avec brutalité. Après la défaite de 1945, il s’ancra sous l’obédience des Etats-Unis : « Etat client », il endossa le rôle de base arrière des guerres américaines en Corée et au Vietnam.
Au cours des trente dernières années, le Japon a joué la carte du « soft power » (concept inventé par l’analyste des relations internationales Joseph Nye pour signifier que la puissance n’est pas uniquement militaire et économique mais aussi culturelle) sous la forme du « Cool Japan ». Mangas et films d’animation, à commencer par ceux nés de l’imagination emphatique et pacifiste du dessinateur Hayao Miyazaki, ont connu un succès planétaire.
C’est aussi le cas du romancier Haruki Murakami. Influencé par Ernest Hemingway et Raymond Chandler, il apparaît comme la figure s’il en fut d’un Japon mondialisé. Mais ce n’est qu’une facette de son œuvre parsemée de retours sans concessions sur le passé – tel que le massacre de civils par l’armée japonaise à Nankin en 1937 dans Le Meurtre du Commandeur (Belfond, 2018). Il fait ainsi passer dans le grand public jeune – cœur de son lectorat – des questionnements qui seraient rébarbatifs présentés sous une forme politique.
Des différends sur l’histoire
Or ces rappels sont au cœur de tout positionnement du Japon sur la scène mondiale qui suppose qu’il se rapproche de ses voisins chinois et coréens en surmontant les différends sur l’histoire qui empoisonnent leurs relations.
Avec une Chine ressentie comme une menace et un allié américain à la fiabilité sujette à caution, le gouvernement Abe a une ambition : faire de l’Archipel un « pays normal ». Une « normalité » qui passe, à ses yeux, par l’affranchissement du Japon des contraintes pacifistes de la Constitution de 1947 – qui lui interdit le recours à la guerre – pour disposer d’une force militaire non plus uniquement défensive, qui lui permettrait des interventions extérieures, notamment en vue de se porter au secours d’un allié menacé.
Au cours de l’ère Heisei, des soldats japonais ont participé pour la première fois à des missions de maintien de la paix, onusienne ou non, à l’étranger : en Irak, en appui des Etats-Unis en 2004 puis, plus récemment au Soudan du Sud dans le cadre d’un mandat de l’ONU, tandis que la marine japonaise prenait part à la lutte contre la piraterie au large de la Somalie. Ces interventions ont suscité des polémiques – la présence japonaise en Irak étant loin d’être ressentie par la population locale comme une opération de maintien de la paix – et témoignent de la volonté de Tokyo de s’investir davantage dans les affaires du monde.
Source : Le Monde.fr