Analyse. La catastrophe nucléaire à la centrale Daiichi, dans le département de Fukushima, au Japon, a focalisé l’attention des médias à travers le monde comme un événement pivot de l’aveuglement des Etats sur les risques du nucléaire civil et une préfiguration de ce qui pouvait arriver ailleurs.
Cette hégémonie de Fukushima dans la perception du séisme suivi d’un tsunami du 11 mars 2011 contraste avec la vision japonaise d’une triple catastrophe (séisme, tsunami et accident nucléaire), baptisée « le grand désastre du Japon de l’Est ». Elle laisse surtout dans l’ombre d’autres effets, riches en enseignements sur le poids du secteur de la construction dans les choix politiques du gouvernement japonais mais aussi sur la manière de parer aux risques de submersion dus au dérèglement climatique à travers le monde.
Le bétonnage des littoraux qui a défiguré les côtes à rias [vallées fluviales envahies par la mer] du Tohoku (Nord-Est), modifie le rapport des habitants à la mer et bouleverse les équilibres écologiques, sans pour autant garantir pleinement la protection du littoral. A la perte des êtres chers (18 500 morts et disparus), aux souvenirs, chez les survivants, de ces jours où les noms de leurs hameaux sont soudain entrés dans l’histoire s’ajoute, dix ans plus tard, la destruction de ce qui restait de leur vie : un environnement familier. Au tsunami a succédé une déferlante de béton.
Financement politique
Une muraille qui peut atteindre 14 mètres en 620 emplacements s’étend désormais sur près de 400 km, obstruant baies et criques dans trois départements : Fukushima (68 km de digues) ; Miyagi (239 km) et Iwate (85 km). « Pour nous, ce fut le coup de grâce », dit un habitant d’Ogatsu (département de Miyagi) où 230 habitants sur 4 200 périrent.
A la suite du désastre, les autorités ont renoué avec l’esprit du plan de « remodelage de l’Archipel » du premier ministre Kakuei Tanaka (1972-1974) : arasement des montagnes pour créer des zones résidentielles et industrielles sur un littoral bétonné sur des dizaines de kilomètres. Cette fois, les digues sont plus hautes, plus longues et plus massives que celles construites auparavant, « sans s’interroger sur leur pertinence pas plus que sur les effets contraires aux initiatives de retissage du lien entre la mer et les collines boisées des pêcheurs afin de favoriser le déversement dans la mer de riches nutriments qui en proviennent », fait valoir Rémi Scoccimarro, géographe et maître de conférences en langue et civilisation japonaises à l’université de Toulouse Jean-Jaurès, actuellement chercheur à la Maison franco-japonaise à Tokyo, et auteur de Tsunami de béton : de l’empreinte à l’emprise sur les paysages littoraux après les catastrophes du 11 mars 2011 publié en 2020 dans la revue Projets de paysage.
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Source : Le Monde.fr
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