« Au Japon, “la justice de l’otage” n’a pas été modifiée »

Tribune. Après sa rocambolesque évasion, Carlos Ghosn n’a cessé de critiquer le système judiciaire japonais. Il n’est pas le premier à le faire. Cela fait plusieurs décennies que, tant au Japon qu’à l’étranger, des personnes inculpées, des avocats, des médias et des organisations de défense des droits de l’homme contestent ce système.

Une des caractéristiques du système judiciaire japonais est la longue période de détention préventive, durant laquelle policiers et/ou procureurs procèdent à l’interrogatoire du suspect. Les juges délivrent de manière routinière, sur demande des procureurs, des mandats d’arrêt et de détention préventive. La majorité des suspects sont ainsi détenus jusqu’à vingt-trois jours avant d’être inculpés. Les autorités interprètent le code de procédure criminelle afin de contraindre les détenus à être interrogés durant toute cette période. Les aveux sont considérés comme une preuve importante lors des procès. On estime que celui qui avoue exprime ainsi ses remords. Aussi les interrogatoires sont-ils prolongés afin d’obtenir des aveux. L’invocation du droit à garder le silence ne met pas un terme à l’interrogatoire. Les enquêteurs continuent de faire pression sur le suspect afin qu’il réponde aux questions et avoue le crime qu’on lui impute. En règle générale, les avocats ne sont pas autorisés à assister aux interrogatoires.

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Le lieu de détention est aussi problématique. La plupart des suspects sont enfermés dans des cellules situées au sein des commissariats de police. Les tribunaux peuvent également prononcer une interdiction de communication qui autorise les détenus à ne communiquer qu’avec leurs avocats. Lorsqu’ils sont soumis à une telle interdiction, les suspects ne peuvent rencontrer, téléphoner ni même écrire à personne d’autre, y compris les membres de leur famille. Pendant la durée de leur détention préventive, ils n’ont pas le droit de demander une libération sous caution. Ceux qui sont inculpés peuvent en faire la demande, mais ceux qui n’ont pas avoué ou qui ont gardé le silence ont souvent du mal à persuader un juge d’approuver leur demande de libération sous caution. Ce qui prolonge encore la détention.

Renforcement du pouvoir des procureurs

L’ensemble de cette procédure d’enquête est dénoncé depuis longtemps comme une « justice de l’otage » et, ainsi que le montrent de nombreux cas de disculpation, donne lieu à de faux aveux et à des condamnations injustifiées.

Depuis le début du XXIe siècle, le Japon a procédé à deux réformes majeures de son système pénal. La première, en 2004, n’a pas modifié les modalités de la procédure d’enquête. Mais, en 2010, un scandale sans précédent éclata, lorsque Atsuko Muraki – ancienne responsable du bureau du ministère de la santé pour l’emploi, l’enfant et la famille – fut acquittée de l’accusation de fraude postale. Dans cette affaire, il fut prouvé que l’un des procureurs du district d’Osaka avait manipulé les preuves pour obtenir sa condamnation. L’écho rencontré par l’affaire Muraki fut à l’origine de la réforme de 2016. Ses résultats sont mitigés. Même si des modifications visent à une plus grande transparence dans la procédure des enquêtes criminelles, d’autres renforcent le pouvoir du ministère public.

Source : Le Monde.fr

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