Autres lieux, autres mœurs. Alors que les opérateurs français de raffinerie, dont le salaire moyen dépasse allégrement 3 000 euros, se battent – avec de bonnes chances de gagner – pour une augmentation substantielle, en réponse à la hausse des prix, à l’autre bout du monde, il est hors de question d’y penser. Au Japon, pas de débat sur les superprofits et une inflation très modérée. Elle devrait atteindre 3 % en 2022, un record depuis quarante ans, et rebaisser à 2 % en 2023, selon les estimations de la Banque du Japon. Car, curieusement, dans ce pays, même quand les prix augmentent, les salaires ne bougent pas.
Dans un entretien au Financial Times, mardi 11 octobre, le premier ministre, Fumio Kishida, supplie à nouveau les entreprises d’augmenter leurs employés, et il espère que la conjoncture l’y aidera. « En passant les hausses de prix, nous espérons que les entreprises auront la latitude d’augmenter les salaires », explique-t-il. Et d’ajouter, en bon émule de Ford ou de Keynes : « Dans le passé, les salaires étaient vus comme un facteur de coût, mais si l’on voit plus loin, les entreprises ont besoin d’investir dans leurs salariés, pour la croissance de l’économie et de leurs affaires. »
Pour l’heure, il n’est pas entendu. Les grandes entreprises ont la tête – et surtout leurs affaires – ailleurs, très loin du Japon, et les petites et moyennes entreprises (PME), qui emploient 70 % des salariés, ne peuvent augmenter leurs prix faute de consommation. Elles absorbent les hausses actuelles des coûts de l’énergie et des matières premières, ce qui réduit leurs marges et les empêche de faire un geste en faveur de leur personnel.
C’est tout le mystère japonais. La mécanique infernale de l’inflation, qui voit prix et salaires s’envoler de concert, ne semble pas avoir de prise là-bas. La banque centrale elle-même n’y croit pas et maintient, seule au monde, sa politique de taux négatifs, quand toutes ses homologues occidentales les remontent afin d’enrayer la progression des prix. Mieux même, à chaque coup de froid économique, le pays sort un nouveau plan de relance. Le « quoi qu’il en coûte » à échelle industrielle.
Pays fermé et mercantiliste
Cela dure depuis quarante ans. Résultat : avec une dette faramineuse, qui dépasse allègrement 7 500 milliards de dollars (7 720 milliards d’euros), soit 250 % de son produit intérieur brut, le Japon est le pays le plus endetté au monde après le Venezuela.
Toute autre nation aurait fait faillite. Cependant, la botte secrète du pays réside dans la détention de cette dette par les ménages japonais, du moins par les banques auxquelles ils ont confié leurs économies. Plus de 85 % de cette dette est purement japonaise, dont la moitié directement dans les comptes de la Banque du Japon.
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Source : Le Monde.fr