LETTRE D’OKINAWA
Une puissante rafale fait trembler le toit de tôle ondulée noire. Le bruit couvre le ronflement du massif four du verrier, qui tourne à plein régime au cœur de l’atelier de forme hexagonale. En ce mercredi 31 août, sous la menace du typhon Hinnamnor, les ouvriers de la verrerie Inamine, sur l’île d’Okinawa, au sud du Japon, s’affairent pour ne rien laisser qui puisse s’envoler et endommager l’outil de travail. « Le four ne peut jamais être éteint, sinon il est perdu », rappelle Seiichiro Inamine, maître et artiste verrier, patron du lieu installé dans la ville de Chatan, à proximité de plusieurs artisans produisant de la céramique traditionnelle yachimun.
Les rideaux de fer seront bientôt baissés pour calfeutrer l’atelier d’ordinaire ouvert à tous les vents. Le temps du typhon, le travail de l’un des derniers artisans d’Okinawa travaillant toujours à base de verre recyclé est suspendu. Cette activité a fait la renommée du « verre des Ryukyu », du nom du royaume indépendant qui dirigea Okinawa du XVe siècle à son annexion en 1879 par le Japon. Elle est au service de la promotion du tourisme, vital pour relancer l’économie locale selon les candidats à l’élection, le 11 septembre, du gouverneur d’Okinawa.
« Le charme du verre recyclé vient de ses imperfections. Quand il est travaillé, il crée des petites bulles, ce qui lui donne une certaine chaleur », explique M. Inamine, qui a succédé à son père à la tête de l’atelier. Ayant commencé à 15 ans, M. Inamine, aujourd’hui quinquagénaire et toujours passionné, travaille à partir de bouteilles d’awamori, un alcool local. L’homme aime créer des motifs et des teintes en ajoutant au verre en fusion de la terre rouge, de la poudre de cosse de riz ou encore de curry. Cet amateur d’expérimentations crée des objets aux formes irrégulières, tout en arrondis. « Je m’inspire de la douceur de la nature et des paysages d’Okinawa. »
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Le travail de M. Inamine est l’aboutissement d’une histoire originale. Si des études ont révélé la présence du verre en 1459 aux Ryukyu, la production aurait vraiment commencé après l’annexion par le Japon. Dans un archipel en pleine modernisation sous l’ère Meiji (1868-1912), le verre est tendance.
Renommées Okinawa par le gouvernement nippon, les îles Ryukyu n’échappent pas à la mode mais n’ont aucun verrier. Ils reçoivent par bateau des plateaux, coupes de saké ou encore pièges à insectes en verre, de Shinagawa, au sud de Tokyo. Or les caprices de la navigation font que seulement un tiers des produits arrivent entiers. D’où l’idée de lancer une production locale. Peu à peu, trois entreprises se créent : Fukuda Glass, Okinawa Glass et Maeda Glass.
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Source : Le Monde.fr