LETTRE D’HOKKAiDO
Dans le combat des Aïnous pour retrouver leur dignité, la question du respect des morts occupe une place centrale. Passée sous la coupe japonaise à la fin du XVIIIe siècle, la minorité qui vivait sur un vaste territoire couvrant Sakhaline (actuelle Russie), les îles Kouriles, Hokkaido et le nord de l’île de Honshu, voit sa culture récupérée à des fins mercantiles : son artisanat est au cœur depuis le 1er octobre d’une expo-vente au grand magasin Marui Imai de Sapporo, la capitale d’Hokkaido, et le manga Golden Kamui vit un succès international, sur papier comme en version animée.
Ces promotions « culturelles » tendent à occulter les tragédies vécues par la minorité, mêlées d’atteintes à la dignité de ses morts. Il est ainsi difficile de trouver des traces du drame qui toucha le camp aïnou aménagé en 1875 le long du fleuve Ishikari, qui traverse la zone industrielle d’Ebetsu, petite ville proche de Sapporo. A l’époque, le Japon vient de signer le traité de Saint-Pétersbourg avec la Russie. L’accord restitue la totalité de Sakhaline aux Russes en échange de la souveraineté nippone sur les Kouriles. Les Japonais vivant sur Sakhaline doivent être évacués. Les Aïnous de l’île aussi. Huit cents se retrouvent parqués sur les rives de l’Ishikari. Touchée par une épidémie de choléra, près de la moitié de la communauté décède.
Aujourd’hui, la mémoire de ce drame passe après les honneurs rendus par les autorités aux personnalités comme Takeaki Enomoto (1836-1908), négociateur du traité de Saint-Pétersbourg, qui ont promu la politique de colonisation d’Hokkaido par l’envoi massif de « pionniers » de tout le Japon.
La tragédie d’Ebetsu se dévoile par bribes. Elle est mentionnée sur une plaque dressée dans un petit parc à quelques centaines de mètres du camp aïnou, devenu un terrain de baseball, et au petit musée d’histoire de la ville. Un plan jauni précise que les Aïnous sont venus « de leur propre volonté ».
Perpétuation d’une mémoire douloureuse
Au cimetière municipal, deux mausolées de pierre ont été érigés en souvenir des victimes. Or les stèles noircies par le temps portent la mention « dojin ». Ce mot, qui peut se traduire par « indigène », est considéré par les Aïnous comme insultant et discriminatoire.
Et puis, « les Aïnous n’ont jamais érigé de sépultures en pierre », rappelle Kimiko Naraki. La volubile septuagénaire est aussi originaire de Sakhaline. « Mes parents ont été rapatriés à Hokkaido au moment de l’attaque soviétique de 1945. » Ses origines l’amènent à venir souvent au cimetière, chanter et jouer du mukkuri – instrument aïnou proche de la guimbarde – pour les âmes des morts d’Ebetsu.
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Source : Le Monde.fr
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