La Cour suprême japonaise a jugé « inconstitutionnelle » l’obligation légale faite aux personnes transgenres de se faire stériliser pour pouvoir changer de sexe dans les registres d’état civil. L’obligation de stérilisation impose de « graves restrictions » à la vie d’une personne et « limite le libre droit à ne pas subir contre sa volonté une atteinte à son corps », a déclaré, mercredi 25 octobre, la plus haute cour japonaise, dans un arrêt très attendu.
Au Japon, une personne transgenre souhaitant que les registres d’état civil reflètent sa transition de genre doit saisir un tribunal pour les affaires familiales après avoir subi une chirurgie d’affirmation de genre, en vertu d’une loi adoptée en 2003. Elle doit aussi prouver l’absence de capacité reproductive, ce qui nécessite généralement une stérilisation, et ses organes génitaux doivent avoir une « apparence similaire » à ceux du sexe auquel elle s’identifie.
Toute personne souhaitant ce changement d’état civil doit également être célibataire, ne pas avoir d’enfants mineurs et être officiellement diagnostiquée comme souffrant de dysphorie de genre, c’est-à-dire d’une détresse causée par une inadéquation entre le sexe assigné à la naissance et le genre auquel s’identifie une personne.
« Violation des droits de l’homme »
La Cour suprême japonaise avait été saisie à la suite d’une action en justice lancée par une femme transgenre demandant à être légalement inscrite comme femme sans subir d’opération chirurgicale, arguant du fait que la stérilisation obligatoire constitue une « violation des droits de l’homme et est inconstitutionnelle ». Sa demande a été rejetée par un tribunal pour les affaires familiales, puis par une juridiction supérieure.
C’est la deuxième fois que la plus haute cour du pays était appelée à se prononcer sur cette question : en 2019, elle avait confirmé la loi, jugeant qu’elle avait pour but de prévenir des « problèmes » dans les relations parents-enfants pouvant conduire à de la « confusion » et des « changements brusques » au sein de la société.
La Cour suprême avait cependant reconnu le caractère invasif de cette loi, ajoutant que la législation devrait être revue régulièrement au fur et à mesure que les valeurs sociales et familiales évoluent. Seule une poignée de pays, comme l’Espagne cette année, ont récemment facilité le changement d’état civil des personnes trans.
Mais les défenseurs des droits LGBT+ s’indignent des procédures médicales longues, invasives et potentiellement risquées auxquelles contraint le Japon – par ailleurs seul pays du G7 à ne pas reconnaître le mariage entre personnes de même sexe ni les unions civiles au niveau national.
Dans un rapport publié en 2019, l’ONG Human Rights Watch (HRW) a ainsi jugé que cette obligation était fondée sur une notion « péjorative », selon laquelle la transidentité relève d’une « maladie mentale ». « La procédure de changement légal de genre, qui nécessite une chirurgie de stérilisation et un diagnostic psychiatrique obsolète, est anachronique, nuisible et discriminatoire », a condamné HRW.
Une décision attendue
Le débat évolue cependant dans l’Archipel, où un tribunal local pour les affaires familiales a rendu au début du mois un jugement sans précédent dans le pays, jugeant inconstitutionnelle et invalide la loi de 2003. Le Japon, traditionnellement conservateur, a aussi fait ces dernières années de petits pas vers l’acceptation de la diversité.
Au début de l’année, le pays a ainsi adopté sa première loi visant ostensiblement à protéger la communauté LGBT+ des discriminations. Toutefois, les militants ont dénoncé la formulation édulcorée du projet de loi, qui ne s’oppose qu’aux « discriminations injustes ».
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Et de la désinformation « associant des femmes transgenres à des violences sexuelles dans des lieux publics » se répand « très largement », a averti cette année une organisation japonaise pro-LGBT+.
La décision de mercredi était particulièrement attendue dans la communauté transgenre de l’Archipel, comme par Tomoya Asanuma, un homme transgenre de 34 ans. A l’âge de 23 ans, M. Asanuma a subi une ablation de l’utérus et des ovaires pour pouvoir changer sa mention de sexe à l’état civil et pouvoir épouser sa fiancée.
Mais « faire de la chirurgie une condition pour changer légalement de genre est trop risqué pour les personnes transgenres à tous points de vue, physiquement, émotionnellement et financièrement », a déclaré M. Asanuma. « Je souffre toujours. C’est vraiment frustrant de penser que je ne souffrirais pas autant si j’avais été autorisé à changer de genre sans opération », a-t-il ajouté.
Source : Le Monde.fr