Au Japon, soixante-dix-huit ans après sa reddition, le pays peine à faire face au « passé qui ne passe pas »

Au cours de la cérémonie solennelle, mardi 15 août à Tokyo, dans le pavillon des Arts martiaux, marquant « le jour de la fin de la guerre », le premier ministre, Fumio Kishida, s’est engagé à ce que son pays ne « répète jamais la tragédie de la guerre ». « Tenir compte des leçons de l’histoire est enraciné dans nos cœurs », a-t-il ajouté. Mais il a laissé le soin à l’empereur Naruhito d’exprimer les « profonds remords » de la nation pour ses actions passées.

En dépit des repentirs maintes fois formulés par les gouvernements et le monarque lui-même, les crimes commis par l’armée impériale en Chine et en Asie du Sud-Est au cours de la « guerre de la Grande Asie » (1931-1945) n’ont pas conduit l’Etat à une réflexion en profondeur sur le passé militariste – même s’il existe pléthore d’ouvrages sans concession consacrés à cette période, signés par des historiens. Et le fait que le mot « reddition » soit écarté des commémorations du 15 août en dit long sur les difficultés sémantiques du Japon officiel à qualifier le passé. La cérémonie était d’ailleurs essentiellement destinée au repos des âmes des trois millions de Japonais tués au cours du conflit.

La capitulation de 1945 allait accoucher d’un Japon démocratique se réclamant d’un pacifisme imposé par le vainqueur américain, promesse inscrite dans la Constitution qui fut endossée par la population comme une forme de « rédemption » et une protection contre un retour au militarisme. La reddition fut ainsi un traumatisme et une libération.

Désormais troisième puissance économique du monde, le pays vient de tourner une page de son histoire : il a décidé, en décembre 2022, de doubler ses dépenses de défense, qui, dans cinq ans, égaleront celles des pays membres de l’Union européenne, faisant de l’archipel une puissance du même rang sous le parapluie nucléaire américain.

Contradictions et ambiguïtés

Confronté aux bouleversements mondiaux, de la guerre en Ukraine à la confrontation entre la Chine et les Etats-Unis, M. Kishida a suivi la voie ouverte en 2012 par l’ancien premier ministre Shinzo Abe : ne pas insister sur la révision de la Constitution – difficile en raison de l’attachement de l’opinion au pacifisme – et mettre en avant le droit de tout Etat à se défendre. Cette notion a déjà permis au pays de créer, au début des années 1950, avec la bénédiction américaine, les Forces japonaises d’autodéfense, qui, au fil des années et de l’élargissement des conditions d’engagement, sont devenues une véritable armée.

L’archipel se retrouve cependant aujourd’hui dans une position inconfortable : il lui faut naviguer entre les contradictions et ambiguïtés auxquelles le conduit son nouveau positionnement géopolitique dont le grand dessein, de moins en moins inavoué, est de montrer ses muscles face à la Chine. Sans renier son attachement au pacifisme institutionnel, Tokyo essaie de construire avec Pékin et le reste de l’Asie une coexistence fondée à la fois sur la dissuasion et sur la concertation – ce qui suppose d’éviter les écueils des conflits mémoriels.

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Source : Le Monde.fr

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