Voilà un rêve qui pourrait apaiser les nuits de Laurent Berger ou de Philippe Martinez, les patrons de la CFDT et de la CGT, s’ils peinent à s’endormir à cause des petits soucis qui les occupent actuellement. En ce mois de février, les négociations salariales annuelles battent leur plein au Japon. Chez Toyota, la plus célèbre entreprise du pays, les syndicats se sont préparés à des semaines d’âpres discussions pour un résultat bien mince.
Mais, surprise, la direction annonce dès le premier jour qu’elle accède à toutes leurs demandes. A peine entamées, les négociations sont terminées. Du jamais-vu, même dans ce pays où le consensus est la règle. On ne connaît pas, pour l’instant, le niveau des augmentations obtenues, mais on sait déjà qu’il sera historique. « Nous devons encourager la redistribution des richesses », a affirmé Koji Sato, le futur patron du constructeur, qui prendra ses fonctions en avril.
Comme en Europe, le printemps est en avance au pays des cerisiers en fleurs, du moins pour les salaires. Car Toyota n’est pas seul à suivre ce chemin sympathique. Son concurrent Honda a précisé que les augmentations atteindraient 5 % cette année, un record là aussi. L’entreprise Fast Retailing, connue pour sa marque Uniqlo, est également de la partie, avec des hausses de salaire allant jusqu’à 40 %. Nintendo, Suntory ou Nippon Life Insurance suivent cette voie.
Convaincre les PME
Quelle mouche a donc piqué le gotha des affaires japonaises pour qu’il cède ainsi ? Ce n’est pas dans ses habitudes. Après quarante ans de quasi-déflation, le salaire japonais, 40 000 dollars (37 700 euros) par an en 2021, est largement au-dessous de la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (51 000 dollars), et presque deux fois moins élevé qu’aux Etats-Unis (74 000 dollars).
Depuis des années, le gouvernement japonais tente d’encourager les entreprises à augmenter les salaires pour réveiller l’inflation. Celle-ci est enfin sortie du bois en 2022, à la faveur de la crise énergétique. L’augmentation des prix, hors alimentation, s’est inscrite en hausse de 4 % en 2022, là encore du jamais-vu depuis quarante ans. Il faut la soutenir par la consommation, et donc par les salaires.
La banque centrale du Japon aimerait bien arrêter ainsi des décennies de politique ultra-laxiste de taux négatifs et d’injection massive de liquidités destinées à soutenir une dette publique stratosphérique gonflée par les plans de soutien. Le message semble enfin entendu par les grandes entreprises. Reste à convaincre les millions de PME qui font travailler 70 % des Japonais. Ce ne sera pas simple. Si le premier ministre, Fumio Kishida, y parvient, il aura brisé le sortilège qui empoisonne l’économie japonaise depuis presque un demi-siècle.
Source : Le Monde.fr