La condamnation, mercredi 27 décembre, de la police métropolitaine et du parquet de Tokyo pour avoir fabriqué des preuves afin d’inculper les dirigeants de l’entreprise Ohkawara Kakohki ravive les critiques des dérives de la justice japonaise, souvent surnommée « justice de l’otage ». Le quotidien conservateur Yomiuri Shimbun a appelé dans un éditorial la police et le parquet à « établir les causes » de cette affaire aux « conséquences extrêmement graves ».
Ohkawara Kakohki était soupçonnée d’avoir vendu en Chine des machines de séchage par atomisation (une méthode de déshydratation) dont les enquêteurs affirmaient qu’elles pouvaient servir à des fins militaires. Or le Japon interdit la vente à la Chine de matériel potentiellement utilisable dans le domaine de l’armement.
Les procureurs ont placé en garde à vue le 10 mars 2020 trois dirigeants de l’entreprise, dont le PDG, Masaaki Okawara. Le 31 mars, ils les ont mis en examen et maintenus en détention. Le 26 mai, les trois hommes ont de nouveau été placés en garde à vue, cette fois pour avoir vendu des machines en Corée du Sud, alors soumise à des sanctions économiques de la part du Japon pour un différend sur les questions mémorielles. Les demandes de libération sous caution ont été refusées, au motif que les suspects pourraient détruire des preuves. Ils n’ont pu en bénéficier qu’en février 2020. L’un des trois inculpés, Shizuo Aijima, a succombé à un cancer de l’estomac négligé pendant sa détention. L’affaire a placé Ohkawara Kakohki au bord de la faillite.
« Ce que j’ai dit a été modifié »
Or, comme l’a révélé le procès commencé en juillet, l’accusation ne reposait que sur des fabrications de preuves et des extorsions d’aveux au fil de centaines d’interrogatoires. Un policier appelé à témoigner a même laissé entendre que les investigations devaient servir les ambitions de certains de ses supérieurs.
Au début de l’enquête, en 2018, les procureurs ont contacté le ministère de l’économie (METI), qui a confirmé que rien n’interdisait les exportations des machines en question car elles ne pouvaient pas être utilisées à des fins militaires. Le parquet aurait négligé ce fait et contraint le METI à collaborer à l’accusation. Un enquêteur a par ailleurs poussé l’un des trois mis en examen à signer une déclaration écrite dont le contenu était rédigé de façon à confirmer les accusations. La police a certes consulté des experts, mais l’un d’eux a expliqué au tribunal : « Ce que j’ai dit a été modifié. »
Comme d’autres avant eux, les dirigeants d’Ohkawara Kakohki ont été victimes des dérives de la justice nippone, qui prive les suspects « du droit à une procédure régulière et à un procès équitable », comme le rappelait Human Rights Watch (HRW) dans un rapport dévoilé en mai. Focalisée sur l’obtention d’aveux, elle fonctionne avec des gardes à vue pouvant durer vingt-trois jours, renouvelables indéfiniment en invoquant d’autres charges.
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Source : Le Monde.fr
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