LETTRE DE TOKYO
Le gouvernement japonais observe une certaine neutralité dans le conflit entre Israël et le Hamas. Il condamne le terrorisme et plaide pour des pauses humanitaires. Dans la population, les avis apparaissent plus tranchés, ce qui rappelle le rapport particulier du Japon avec le judaïsme.
Vendredi 24 novembre, une trentaine de personnes, dont des représentants du syndicat d’enseignants d’extrême gauche Zenkyo, ont appelé, devant l’ambassade d’Israël, à « sauver Gaza » et à « cesser les bombardements ». Leurs calicots portaient aussi des slogans plus polémiques comme « Stop au génocide à Gaza » ou « Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre », ce dernier étant souvent interprété comme appelant à la destruction d’Israël.
Les rassemblements organisés depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre le sont essentiellement en soutien à la bande de Gaza. Ceux appuyant Israël sont plus rares.
D’ordinaire calmes, ils n’excluent pas des accrochages comme celui du 16 novembre, quand un militant d’extrême droite, Shinobu Sekiguchi, membre de Seidokai Gijuku – pourtant traditionnellement hostile à l’extrême gauche, et donc aux mouvements de soutien à Gaza – a précipité une voiture sur une barrière de protection devant l’ambassade d’Israël, blessant un policier. L’ambassadeur d’Israël s’est dit « choqué ».
De tels incidents sont rares au Japon. Au sein de la communauté juive locale, la recommandation est certes de rester « en alerte », explique l’un de ses membres, et les actes antisémites « ont augmenté depuis le 7 octobre, mais pas de manière dramatique ». Cela rappelle que l’Archipel n’est pas immunisé contre l’antisémitisme, ce qui peut surprendre, la communauté juive ayant une présence récente et ne dépassant pas quelques centaines de personnes.
Une « découverte » de l’antisémitisme tardive
Les premiers contacts des Japonais avec le judaïsme dateraient de l’arrivée des missionnaires portugais dans l’Archipel, au XVIe siècle. Les premiers juifs venus au Japon seraient arrivés après l’ouverture, en 1854, du pays au commerce avec l’étranger. Il s’agirait d’Alexander Marks et de son frère, qui se sont installés, en 1861, à Yokohama. Puis vint l’homme d’affaires américain Raphael Schover, qui a lancé le Japan Express, le premier journal en langue étrangère du pays.
Le développement rapide de l’Archipel pendant la période Meiji (1868-1912) a amené des auteurs européens, comme le missionnaire écossais Nicholas McLeod (1868-1889) ou l’anthropologue allemand Albrecht Wirth (1866-1936), à établir un lien entre les dix tribus perdues d’Israël et les Japonais. Cette théorie voulait expliquer la modernisation rapide du Japon, par opposition aux autres pays asiatiques. Elle était « l’expression d’une tendance à accorder aux Japonais le statut de “Blancs honorifiques” et à les séparer, du moins dans les représentations publiques occidentales, des “masses jaunes mongoloïdes” », écrivait, en 2000, Rotem Kowner, de l’université d’Haïfa, dans « Lighter than Yellow, but not Enough : Western Discourse on the Japanese “Race”, 1854 – 1904 » (« Plus clair que le jaune, mais pas assez : le discours occidental sur la “race” japonaise, 1854-1904 », The Historical Journal, Cambridge University Press, 2000, non traduit).
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Source : Le Monde.fr
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