Avec leurs sièges chauffants et leurs petits jets d’eau orientés vers les différentes parties intimes, les toilettes Toto ont supplanté les traditionnels washiki, ces cuvettes oblongues en émail creusées à même le sol qu’on trouve encore dans de nombreux endroits au Japon, mais qui évoquent désormais une certaine rusticité.
Depuis le lancement de ces trônes futuristes en 1980, l’entreprise Toto n’a cessé de peaufiner son image de luxe high-tech, provocatrice et progressiste, en finançant un prototype comme la « Toto caca » (en 2012), moto à trois roues carburant aux fèces humaines dont le siège a la forme d’une cuvette d’aisance, ou en créant (en 2015) un musée des toilettes à Tokyo. Son succès aidant, les toilettes sont devenues au Japon un sujet de fierté nationale.
Tant et si bien qu’en prévision des Jeux olympiques (JO) de 2020, la ville de Tokyo a confié aux meilleurs architectes du pays un programme de dix-sept toilettes publiques pour le bouillonnant quartier de Shibuya. Tel qu’il s’affiche sur le site de l’opération, le projet visait à dissiper les a priori négatifs attachés à ces équipements (mauvaise hygiène, odeurs, insécurité…). La qualité du design, le prestige des architectes (sur les seize sélectionnés, ils ne sont pas moins de quatre à avoir remporté un Pritzker), un système de nettoyage en continu et des sièges fabriqués par Toto devraient y contribuer.
Autre objectif affiché : la promotion d’une société inclusive, qui se traduit dans chaque projet par l’existence, aux côtés des toilettes hommes et des toilettes femmes, d’une troisième pièce, destinée à la fois aux personnes souffrant de handicap, à celles qui ont un bébé à langer et à celles et ceux qui refusent de se voir assigner un genre sexuel – reste à voir comment sera appréciée une telle conception de l’inclusion…
Teintes acidulées
Un virus ayant reporté les JO à une date incertaine, le programme a pris un peu de retard, mais la livraison se fait à un rythme régulier. Lundi 7 septembre au matin, dans le parc Jingu-Dori, une trentaine de personnes attendait ainsi l’ouverture des toilettes de Tadao Ando, petit cône anthracite serti de fines lames de béton et sectionné par deux disques en haut et en bas, qui rappelle le goût du maître pour l’épure géométrique.
Plus spectaculaires et ouvertement prototypiques, celles de Shigeru Ban ont été inaugurées vendredi 31 juillet. L’architecte à qui l’on doit, en France, le Centre Pompidou-Metz et La Seine musicale, a installé ses toilettes dans des caissons de verre aux teintes acidulées. Lavande, rose et orangé dans le parc Yoyogi Fukamachi Mini ; turquoise, vert, lapis-lazuli dans le parc Haru-no-Ogawa Play (ou Community). Les façades sont transparentes, ce qui rend possible de vérifier l’état des lieux depuis le dehors. Ce qui interroge aussi sur leur fonction réelle. Mais la provocation est une blague. Une fois la porte passée et refermée derrière soi, les vitres s’opacifient. Chacun, chacune se retrouve dès lors libre de faire ce qu’il ou elle a à faire en toute sérénité.
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Source : Le Monde.fr
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