Editorial du « Monde ». Carlos Ghosn ressuscité. « C’est comme si je revenais à la vie », a déclaré le patron déchu de Renault-Nissan-Mitsubishi pour décrire son soulagement après sa rocambolesque évasion du Japon pour s’enfuir au Liban. Lors d’une conférence de presse improbable organisée à Beyrouth, Carlos Ghosn s’est retrouvé, mercredi 8 janvier, dans son élément, comme au sommet de sa gloire, à l’époque des salons de l’auto ou des présentations de résultats. Mais cette fois, il n’était pas question de vanter les mérites d’un bolide ou de convaincre les marchés financiers. Il s’agissait de rétablir sa propre réputation, passablement entachée.
« Je me suis habitué aux missions impossibles », a-t-il lancé avec son aplomb habituel. Celle-ci s’annonce particulièrement délicate, alors qu’il est accusé de dissimulation de revenus, d’abus de confiance aggravé et de détournement de fonds. Libéré sous caution après cent trente jours de prison, il est désormais un fugitif qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt international.
L’ex-PDG a tenté de régler ses comptes avec ses contempteurs, savourant enfin sa liberté de parole, près de quatorze mois après sa retentissante arrestation à Tokyo. Sur la forme, le show était bien réglé. Le décorum et l’attitude combative étaient là. Juché sur une estrade, il a livré sa part de vérité, comme s’il était toujours le patron flamboyant du leader mondial de l’automobile, distribuant la parole avec autorité. « Je ne veux pas me victimiser », a-t-il affirmé, tout en répétant qu’il est visé par un complot ourdi par les dirigeants de Nissan avec la complicité des autorités japonaises, dans le but de reprendre le contrôle d’une alliance qui était sur le point de leur échapper.
L’argent achète tout
Le fond de la démonstration a eu plus de mal à convaincre. D’abord, quelle crédibilité accorder à un homme qui s’est soustrait à la justice dans des circonstances plus que douteuses en faisant appel à des hommes de main au passé sulfureux payés plusieurs millions de dollars ? L’argent achète tout : une liberté de fugitif, la possibilité de réclamer où l’on veut être jugé, écarter systématiquement les éléments à charge, dénoncer ses accusateurs alors qu’ils ne peuvent pas lui répondre, choisir les journalistes qui ont le droit de lui poser des questions. Clamer son innocence dans ces conditions est un exercice aléatoire.
Ensuite, l’essentiel du propos a consisté à dénoncer l’iniquité de la justice japonaise et la sévérité de la surveillance dont il faisait l’objet. Si la première pose objectivement question, rien ne justifie la façon dont Carlos Ghosn s’y est soustrait. Quant à la seconde, elle doit être largement relativisée au regard de la facilité avec laquelle il a trompé la vigilance de la police pour fuir à 9 000 kilomètres de là.
Quelques noms attendus de responsables de Nissan ont bien été lâchés. Des documents illisibles ont bien été projetés à l’auditoire. Des explications alambiquées sur une affaire financière aux dimensions multiples ont bien été tentées. Mais force est de constater qu’aucun élément nouveau n’a émergé. Tout le monde en a pris pour son grade. Les conseils d’administration, pourtant peu regardants sur sa gestion pendant toutes ces années. Ses successeurs : des incapables, qui ont raté l’immanquable, alors que la fusion avec Fiat Chrysler leur tendait les bras ; le gouvernement français, pointé pour son manque d’empathie et ses maladresses. « Il n’y a plus d’alliance [entre Renault et Nissan] », a-t-il conclu. « Après nous le déluge », aurait dit Madame de Pompadour.
Source : Le Monde.fr