Les petites communautés des « chrétiens cachés » croient dans le même Dieu que l’Eglise de Rome mais selon des rites que celle-ci ne reconnaît pas.
Ils ne se déplaceront pas pour assister à la messe célébrée par le pape François à Nagasaki. Ils se disent chrétiens, mais ils ne sont pas reconnus comme tels par Rome. Pour l’Eglise, ce sont des égarés, des hérétiques. Ils sont les descendants des « chrétiens cachés » qui, en dépit des persécutions du début du XVIIe siècle, avaient conservé la foi et pratiquaient en cachette un culte sans sacrement ni pasteur, qui, au fil du temps, s’est éloigné de l’orthodoxie romaine. Ils ne sont plus aujourd’hui que quelques centaines vivant dans un chapelet de petites îles (Amakusa, Goto, Ikitsuki), à l’ouest de Nagasaki.
Ils n’ont plus de raison de « se cacher » – depuis la fin du XIXe siècle, le Japon reconnaît la liberté de religion –, pourtant, ils se dérobent à toute reconnaissance. « Ils accordent un rôle primordial au rite et au secret. Lors de l’interdiction du christianisme, le secret était une nécessité, mais, avec le temps, il a pris une fonction religieuse : ils craignent que la révélation de l’existence de leur culte n’entraîne des sanctions divines », estime Martin Nogueira Ramos, de l’Ecole française d’Extrême-Orient, auteur de La foi des ancêtres. Chrétiens cachés et catholiques dans la société villageoise japonaise, XVIIe-XIXe siècle (CNRS éditions). « La foi est d’abord considérée comme un legs des ancêtres, et non une doctrine étrangère » poursuit-il. Eux-mêmes ne se désignent pas comme « chrétiens cachés » mais comme « chrétiens d’autrefois ».
« Cinquième colonne »
Lorsque le Japon commença à s’ouvrir au milieu du XIXe siècle, les missions purent revenir dans l’archipel, d’où elles avaient été chassées deux siècles et demi auparavant. Les shoguns – détenteurs du pouvoir militaire et civil – voyaient dans la propagation de la foi une « cinquième colonne » des puissances colonisatrices, et dans la ferveur des convertis, un ferment des révoltes paysannes. La vérité universelle dont se disaient porteurs les évangélistes, qui avaient fait détruire de temples bouddhiques et des sanctuaires shinto (polythéisme vénérant les forces de la nature), choquait dans un pays où les croyances coexistaient et où prévalait le syncrétisme.
« Les crypto-chrétiens étaient insérés dans les communautés villageoises et continuaient à transmettre discrètement mais sans être réprimés, leurs rites et prières à leurs enfants »
Le film de Martin Scorcese, Silence (2016), adapté du roman éponyme de Shûsaku Endô, montre la férocité des persécutions dont furent victimes les chrétiens – plus de quatre cents, pratiquement tous laïcs, ont été béatifiés. « Cette répression n’a cependant jamais été générale, ni à une aussi grande échelle qu’on le croit en Europe », souligne Martin Nogueira Ramos. Les persécutions cessèrent après deux décennies, et pendant plus de deux siècles les communautés chrétiennes ne furent pas inquiétées. « Il faut relativiser l’idée que les crypto-chrétiens vivaient en vase clos. Ils étaient en fait insérés dans les communautés villageoises et continuaient à transmettre discrètement mais sans être réprimés, leurs rites et prières à leurs enfants », poursuit l’universitaire. Le chef de la communauté procédait au baptême, et les fidèles priaient devant des statuettes de la Vierge Marie sous les traits de Kannon (divinité féminine de la miséricorde), psalmodiant comme un sutra des prières en latin qui, transmises oralement, devinrent au fil du temps un sabir incompréhensible.
Source : Le Monde.fr
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