La revue des revues. L’histoire convie parfois à des rapprochements inattendus. Ainsi, le 90e anniversaire de la création, en mars 1932, de l’Etat fantoche du Mandchoukouo, n’est pas sans résonance avec l’agression russe en Ukraine.
Le mensuel gratuit Zoom Japon qui offre, depuis douze ans, une approche originale et de qualité des différentes facettes du Japon contemporain, se livre, dans son numéro du mois de mai, à cet exercice, en y consacrant articles et interviews.
En septembre 1931, prétextant un attentat sur la voie ferrée de la Société des chemins de fer de Mandchourie du Sud japonaise – manigancé, en réalité, par l’armée impériale –, le Japon se lança à la conquête de la Mandchourie, dans le nord de la Chine, et proclama, quelques mois plus tard, la création de l’Etat de Mandchoukouo avec, à sa tête, le dernier empereur de Chine, Puyi.
Le nouvel Etat allait devenir le point névralgique de la stratégie du Japon face à la Chine et à la Russie et sa « ligne de vie » par ses richesses en terres arables et en minerais, ainsi que par le fructueux commerce de l’opium – objet d’un manga, Manchuria Opium Squad, de Monma Tsukasa et Shikako (Vega-Dupuis), dont Zoom Japon publie une interview.
Le Conseil de la Société des nations (SDN) adopta une résolution exigeant le retrait des troupes japonaises. Le Japon, qui en était membre, vota contre. Quatre-vingt-dix ans plus tard, la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant l’agression russe fut bloquée par le veto de Moscou.
Pas de coup de force
Dans les deux cas, les instances suprêmes de l’ordre international ont adopté des sanctions économiques. La SDN espérait contraindre le Japon à se retirer de Mandchourie en le privant de matières premières et de pétrole. Ça ne fonctionna pas. Le pays se retira de la SDN et se lança dans son expansionnisme à travers l’Asie – une « guerre de quinze ans » qui allait devenir l’engrenage conduisant au conflit frontal avec les Etats-Unis.
Selon l’historien Kishi Toshihiko, du Centre d’études sur l’Asie du Sud-Est à l’université de Kyoto, interviewé par Zoom Japon, le Mandchoukouo fut le terrain d’expérimentation du fascisme japonais. A l’inverse des Etats européens, la marche vers le totalitarisme s’opéra sans coup de force. Sans organisation de masse ou dictateur, mais par glissements gangrenant le pouvoir, ponctués d’actions à l’initiative de subordonnés qui créaient une logique du fait accompli – dont l’ « attentat » prétexte à l’invasion de la Mandchourie fut un exemple.
Les situations de l’Ukraine et de la Mandchourie éclairent les limites des actions auxquelles les instances internationales ont recours. En prenant des sanctions au nom du droit et de la morale, elles esquivent la prise en compte des causes des conflits, au risque de les envenimer, comme le cas de la Mandchourie l’a montré. Les espoirs d’une meilleure gouvernance mondiale se font attendre.
Zoom Japon, « Il y a 90 ans, le Mandchoukouo », n° 120, mai 2022, 24 pages, gratuit.
Source : Le Monde.fr