Un frisson d’inquiétude parcourt Nemuro depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Niché dans la péninsule de l’est d’Hokkaido, la grande île du nord du Japon, le port de pêche est la ville nippone la plus proche de la Russie. Au bout de cet éperon de terre couvert d’une lande dénudée et balayée par des vents violents se trouve le cap Nosappu, marquant la limite entre la mer d’Okhotsk et l’océan Pacifique. Seuls 3,7 kilomètres séparent cette extrémité de roche noire de Gaigara, un confetti situé à l’extrême-sud des îles Kouriles occupées par les Russes à la fin de la seconde guerre mondiale.
Le site bruisse de sombres souvenirs. Pour les Japonais, Gaigara appartient, comme le reste de l’archipel de Habomai et les îles de Kunashiri, Etorofu et Shikotan, aux « territoires du nord » ; elles ont été saisies, en 1945, par l’Armée rouge. Ils n’ont jamais accepté la perte de celles que les Russes appellent les « Kouriles du Sud ». Le contentieux bloque toujours la conclusion d’un traité de paix entre les deux pays.
Pour les anciens habitants de ces îles perdues, la guerre en Ukraine ravive le souvenir de leur propre drame. « L’attaque par les Russes est illégale, comme la saisie des territoires du Nord. Quand je vois les gens fuir leurs terres, je revis notre histoire, même si, nous, nous n’avons rien pu emporter. C’est difficile à imaginer au XXIe siècle », se lamente Hiroshi Tokuno, qui trouve le président russe, Vladimir Poutine, aussi « fou » que Staline.
Nemuro est à la pointe de la lutte pour obtenir le retour de ces îles dans le giron japonais. Les routes qui y mènent sont bordées de panneaux scandant : « Rendez-nous les îles ! » Des 23 493 âmes que compte la ville, seuls 971 habitants sont issus de familles implantées de longue date. Les rues désertes sont bordées de magasins au rideau baissé, et parfois de maisons effondrées. Sous l’arche métallique érigée au cap Nosappu brûle une flamme perpétuant le souvenir des territoires du Nord.
Au centre d’échange pour les quatre îles, bâti sur une éminence au début des années 1990, le visiteur apprend que ces territoires disputés, originellement ceux de la minorité ethnique des Aïnous, premiers habitants de ces régions, apparaissent dans la cartographie nippone en 1644. Envoyé par le shogunat d’Edo (1603-1868) pour une première exploration par le Japon, le navigateur Juzo Kondo (1771-1829) y établit dix-sept zones de pêche. Le centre présente une copie du Traité russo-japonais de Shimoda, conclu le 7 février 1855, qui décrit le tracé de la frontière entre les deux pays. Les Territoires du Nord sont alors japonais.
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Source : Le Monde.fr
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