ReportageDe gigantesques brise-lames bouleversent le littoral Pacifique du Japon sans que la reconstruction des villes ravagées par le raz de marée du 11 mars 2011 redonne véritablement vie à la région.
On sent la mer mais on ne la voit pas. Elle est de l’autre côté d’une muraille de béton haute de 14,7 mètres qui court sur 2,5 kilomètres autour de la baie du petit port de Taro. Des ouvertures rectangulaires de 5 mètres de haut et de 4 mètres de large dans ce rempart permettent d’accéder au quai où sont amarrés des bateaux de pêche.
Taro est tristement célèbre. Fréquemment victime de tsunamis, la petite ville avait été dotée d’une digue de 10 mètres de haut qui fut submergée et en partie démolie par le raz de marée du 11 mars 2011, faisant 140 morts et 41 disparus. Ce qui en restait, dont une partie a été conservée pour le souvenir, a été renforcé, surélevé et prolongé par une nouvelle muraille.
Vu de la mer, Taro semble une citadelle. Le bureau, au premier étage d’un petit immeuble, de Shoei Kobayashi, président de la coopérative de pêche, donne sur le mur. « Nous sommes dans un port et la mer nous a été ravie. Citadelle ou prison ? Ça dépend des points de vue. Mais c’est triste. » « Moi, je suis né ici, j’ai vécu ici, et je n’ai que la mer », renchérit le pêcheur Kazuo Tazara.
Sentiment de sécurité trompeur
Un bouclier de béton suffit-il à protéger une ville du littoral de tsunamis aussi forts que celui de Fukushima ? Face à cette vaste question, le gouvernement japonais, aux mains du Parti libéral-démocrate qui entretient des liens étroits avec les entreprises de construction, a opté pour une stratégie de choc : des digues plus hautes, plus longues, plus larges. Un budget qui équivaut à 10 milliards d’euros a été réparti entre les trois géants du secteur. Et des murailles ponctuent désormais le littoral du Tohoku (Nord Est) sur près de 400 km, couvrant trois départements (Iwate, Miyagi et Fukushima).
« La reconstruction des cœurs reste lointaine » Mme Hatsue Toba, habitante de Rikuzentakata
Les habitants d’Iwate, autrefois surnommé le « Tibet du Japon » en raison de son relief tourmenté, sont des gens rudes, avares en paroles. La construction d’un mur anti-tsunami a divisé les communautés. Les pêcheurs y étaient ouvertement opposés ; ceux dont le travail est sans relation avec la mer plus favorables.
Le rempart de béton donne un sentiment de sécurité trompeur qui risque de dissuader les habitants de se réfugier immédiatement sur des hauteurs. Il cache en outre la mer aux pêcheurs qui peuvent anticiper un tsunami. Enfin, il entraîne des dégâts écologiques en bloquant les eaux de la nappe phréatique qui s’écoulent vers la mer. Or, celle-ci et la montagne se nourrissent l’une de l’autre, écrit Shigeatsu Hatakeyama dans un livre au titre évocateur, La Forêt amante de la mer (Wildproject, 2019), qui mêle écologie et poésie dans son approche de la région de Sanriku avant le tsunami.
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Source : Le Monde.fr