ReportageSur les 80 000 personnes qui vivaient dans un rayon de 20 kilomètres autour de la centrale et qui avaient dû fuir lors de la catastrophe, 36 200 vivent toujours ailleurs. Dans la région, l’accident nucléaire a provoqué un traumatisme durable.
C’est un petit banc de bois gris, posé entre de jeunes plants de cerisiers, face à une étendue herbeuse jaunie par la sécheresse de l’hiver japonais. Shinichiro Raku, septuagénaire au sourire rare, l’a ancré là où se dressait, il y a encore dix ans, sa maison, sur un terrain de 1 500 tsubos (5 000 mètres carrés). « Une grande demeure traditionnelle. On y organisait de beaux mariages. » Les petits-enfants vivaient avec parents et grands-parents, égayant la bâtisse de Kawahara, zone côtière du bourg d’Odaka, à Minamisoma, commune du département de Fukushima, ombragée à l’ouest par le mont Kunimi et s’ouvrant à l’est sur l’immensité du Pacifique.
Le tremblement de terre, le tsunami et la catastrophe nucléaire du 11 mars 2011 ont tout bouleversé. La vague a emporté la maison. Les explosions à la centrale Fukushima Daiichi, 15 kilomètres plus au sud, ont souillé les terres agricoles de retombées radioactives. Les Raku, comme 80 000 personnes – dont 14 000 à Odaka – qui vivaient dans un rayon de 20 kilomètres autour de la centrale, ont dû fuir.
Dix ans plus tard, M. Raku symbolise le dilemme de ces évacués, confrontés à la question du retour sur leur terre d’origine. Impatient de se recueillir « sur les tombes des ancêtres, sur les terres dont nous avons hérité », il a choisi de revenir. Depuis son banc de Kawahara, il dessine de la main ce qu’était son voisinage. « Ici, il y avait une maison, là une rizière. Là-bas, des gens sont morts dans le tsunami. »
Vestiges de maisons disparues
Près de 700 personnes ont péri à Minamisoma dans une catastrophe qui a fait 22 500 morts et disparus tout le long de la côte orientale de l’Archipel. Aujourd’hui, l’océan se cache derrière une imposante digue de béton gris. De Kawahara, il ne reste que le banc du vieil homme, quelques vestiges de maisons disparues, et le petit temple du quartier, refait à neuf en 2014 par une entreprise de Kumamoto, ville du sud-ouest du pays.
M. Raku vit à quelques kilomètres de là, près de la gare d’Odaka. Le bourg a bénéficié d’une vaste opération de décontamination – retirer 5 centimètres de sol, élaguer les arbres, passer les bâtiments au nettoyeur haute pression – pour ramener les taux d’exposition à 1 millisievert par an (similaires à ceux que la France recommande pour la population).
A l’été 2016, les autorités ont levé l’interdiction d’habiter dans le secteur. Des logements ont été bâtis pour les survivants ayant perdu leur maison et désireux de se réinstaller. M. Raku a emménagé en 2018 dans une maisonnette neuve, « vraiment petite » et meublée modestement. Quelques souvenirs d’avant le drame donnent de la couleur aux murs pâles. Il y a des photos de gens souriants, « récupérées dans les décombres par les militaires des forces d’autodéfense ». D’autres clichés datent des six années passées dans un logement préfabriqué.
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Source : Le Monde.fr