LETTRE DE TOKYO
« C’est Louis XVI ou quoi ? » La commentatrice Hiroko Ogiwara n’a pas pris de gants dans sa tribune publiée par le tabloïd Nikkan Sports, en réaction à la diffusion, mi-avril, d’une vidéo montrant le premier ministre japonais, Shinzo Abe, tentant de convaincre la population de rester confinée. A l’image, le chef du gouvernement apparaît un peu crispé en chemise bleu pâle et pantalon beige, mais confortablement installé sur un sofa, savourant un café ou caressant un petit chien. « Je ne peux pas voir mes amis. Pas de fête. Mais ces actions ont sûrement sauvé de nombreuses vies », dit le message accompagnant la vidéo.
Or, tout dans le cadre, de la très classique lampe de chevet à la toile accrochée au mur, évoque un luxe jugé indécent par nombre de Japonais en cette période de pandémie.
Environ 15 000 personnes ont été contaminées par le SARS-CoV-2 sur l’Archipel. Plus de 500 en sont décédées. La colère a été largement partagée sur les réseaux sociaux, sur le thème de « Pour qui tu te prends ? ». Les propos du premier ministre, parlant de « la pire crise économique depuis la guerre », l’ont exacerbée.
Une certaine légèreté
« M. Abe et son entourage partent à la dérive. (…) Ce sont tous ces gens déconnectés qui ont la charge de lutter contre le virus », déplorait Mme Ogiwara. Les réactions traduisent la défiance des Japonais, dont plus de 70 % se disent insatisfaits de la gestion de la crise du coronavirus, voire abandonnés par un gouvernement donnant l’impression de fuir ses responsabilités.
Et ce dès l’apparition du virus fin janvier. Dans un premier temps, Shinzo Abe a semblé prendre la maladie avec une certaine légèreté. Sa présence aux réunions de la commission chargée de la pandémie se comptait en minutes. Fin février, le quotidien communiste Akahata avait épluché son emploi du temps pour constater que, le 14 février, « il n’avait participé que huit minutes à la réunion sur le coronavirus. Le même soir, il passait près de trois heures à l’hôtel Imperial avec Tsuneo Kita et Naotoshi Okada, dirigeants du quotidien économique Nihon Keizai ».
Puis est venue l’affaire des masques. Le 1er avril, le premier ministre a annoncé la distribution de deux masques en tissu à chaque foyer. Outre son coût, 46,6 milliards de yens (400 millions d’euros), l’opération des « abenomasks » − surnom donné en référence aux « abenomics », la politique économique de M. Abe − a rapidement suscité les sarcasmes : les foyers nippons ne comptent pas toujours deux personnes.
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Source : Le Monde.fr