Dépité par les mauvaises manières des touristes visitant le quartier de Gion, lieu de vie de nombreuses geishas, le conseil des habitants vient d’y interdire les photos.
Finie la prévention, place à la sanction. Lassé de l’attitude déplacée des touristes, le conseil des habitants et des commerçants de Gion a décidé d’interdire de prendre des photos dans ce fameux quartier du cœur de Kyoto. Seule la rue principale, Hanamikoji, est épargnée. Entrée en vigueur le 25 octobre, la mesure s’est accompagnée de la distribution aux touristes de tracts et d’autocollants – dessinés par des étudiants de l’université féminine de Kyoto et de l’université Ryukoku – avec la mention en anglais et en chinois du comportement à adopter. Des panneaux ont été fixés ici et là. L’interdiction est assortie d’une amende de 10 000 yens (83 euros) même si aujourd’hui nul ne sait encore qui, de la police ou des membres de l’association, va la faire payer.
Derrière cette mesure pointe une réelle lassitude de la surfréquentation touristique de l’ancienne capitale impériale. Le nombre de voyageurs étrangers a été multiplié par cinq entre 2012 et 2017, pour atteindre 7,4 millions. Nombre d’entre eux adoptent des comportements qui ne plaisent guère à la très policée population locale. Les vacanciers n’hésitent pas, par exemple, à pénétrer dans les propriétés privées, et les nombreux temples connus pour leur quiétude doivent gérer une foule dense et parfois dissipée.
Des lanternes en papier arrachées
Dans Gion, les visiteurs viennent admirer l’alignement des élégantes et mystérieuses devantures des ochayas, ces maisons de thé traditionnelles où les geishas de Kyoto, appelées geiko, ces dames de compagnie non prostituées divertissent des clients fortunés par leurs chants, danses et conversations raffinées. Ils cherchent aussi à apercevoir les geiko et les maiko, les apprenties, pour les photographier, quitte à les importuner, voire à les harceler, alors qu’elles sont souvent sur le chemin du travail.
L’interdiction de photographier fait suite à une enquête réalisée durant l’été 2018 auprès de 300 restaurants et commerces. Un professionnel a ainsi raconté avoir vu la lanterne de papier installée à sa devanture « tirée et cassée par quelqu’un qui prenait des photos », un autre « un taxi transportant une geiko ou une maiko cerné par les touristes, créant une situation très dangereuse ».
Les résultats de la consultation témoignaient d’un problème persistant, et surtout de l’échec des campagnes menées jusque-là par les habitants pour discipliner les visiteurs. En 2015 déjà, Tripadvisor Japan avait édité un guide des mauvaises manières, classant les interdits de un à trois akimahen (« ne pas », dans le japonais parlé à Kyoto) selon leur gravité. Trois akimahen pour fumer en dehors des zones réservées, deux pour ne pas prêter attention aux portes des taxis qui s’ouvrent automatiquement, et encore trois pour mauvais comportement avec les maiko. Mais cette approche pédagogique n’aura pas suffi. Une autre mesure dissuasive a aussi été prise : éteindre l’éclairage public de certaines rues pour éviter d’y attirer les touristes.
Inciter les touristes à visiter d’autres lieux
Le gouvernement central soutient cette nouvelle initiative. Répondant aux inquiétudes de la population qui redoute la « disparition de l’atmosphère de Gion », le ministère des transports et du tourisme teste depuis septembre et jusqu’au 8 décembre un service adressant des messages aux touristes approchant à moins de 1 kilomètre du quartier. S’ils ouvrent le lien envoyé, ils accèdent à un site Web mentionnant des avertissements en anglais et en chinois comme : « Ne prenez pas de photos de geiko ou de maiko sans leur autorisation » ou « Ne touchez pas aux lanternes ». Le site rappelle que des amendes sont prévues en cas d’infraction. Sur le terrain, des agents sont déployés pour rappeler à l’ordre les contrevenants.
La mise en œuvre de l’interdiction de photographier coïncidait avec la rencontre, les 25 et 26 octobre à Kutchan, ville de Hokkaido (nord du Japon), des ministres du tourisme des pays du G20. La surfréquentation touristique était la priorité des discussions. Dans la déclaration finale du sommet, les participants se sont engagés à agir pour inciter les voyageurs à « visiter différentes destinations pour revitaliser les économies locales et améliorer la durabilité des destinations touristiques », affirmant que cela allait « favoriser la création d’emplois et l’esprit d’entreprise dans les zones rurales ». Autrement dit, il est temps pour les touristes de sortir des sentiers battus.
Source : Le Monde.fr
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