« Maudits », les Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo ? Le vice premier ministre japonais, Taro Aso, semble en tout cas le croire, alors que les débats s’intensifient sur la tenue des compétitions devant commencer le 24 juillet et que le monde fait face à la pandémie de Covid-19 et enregistrait, vendredi 20 mars, 189 542 malades, dont 914 au Japon.
« Les Jeux olympiques maudits sont un phénomène qui se produit tous les 40 ans, c’est un fait », a déclaré, mercredi 18 mars au parlement, M. Aso. Le Japon devait accueillir les Jeux olympiques d’été et d’hiver en 1940 – à Tokyo et Sapporo, respectivement. Ils ont été annulés à cause de la Seconde Guerre mondiale. En 1980, ceux de Moscou se sont déroulés en format réduit, en raison d’un boycott massif sur l’initiative des Etats-Unis.
Cette fois, c’est le Covid-19 qui menace les compétitions d’un report, voire d’une annulation. La crise sanitaire est telle que 69,9 % des Japonais croient que les jeux ne pourront pas avoir lieu, révèle un sondage réalisé du 14 au 16 mars par l’agence Kyodo.
« Compte tenu de la situation dans le monde, il est impossible d’imaginer la tenue dans quatre mois d’un événement d’une telle importance, en particulier parce que nous n’avons encore pas de remède », note Tatsushi Mihori, cadre dans une PME de Tokyo.
Ce point de vue est partagé à différents niveaux. « Le virus n’est pas sous contrôle en Europe. Et que va-t-il se passer en Afrique qui n’a pas le système de prévention adéquat ? Il faudrait que le virus soit endigué partout, car les gens viendront du monde entier pour les Jeux. Franchement, ce n’est pas possible », redoute Kentaro Iwata, médecin spécialiste des maladies contagieuses à l’université de Kobe (Ouest).
Les préparatifs maintenus
Même dans le milieu sportif nippon des doutes commencent à être formulés, en écho à ceux exprimés par des athlètes du monde entier. « Cela me semble difficile de les organiser dans des conditions habituelles, non ? », s’interrogeait, jeudi, l’ancien international de rugby, Toshio Fujita, sur le site Real-Sports.
Dans ce contexte, les récentes déclarations et prises de position des organisateurs comme du Comité international olympique (CIO) interrogent. La gouverneure de Tokyo, Yuriko Koike, a estimé, jeudi, que « ce n’était pas le moment de discuter du report », ajoutant que la priorité était d’assurer des jeux « sûrs pour les athlètes comme pour les spectateurs ».
Les organisateurs maintiennent les préparatifs pour des « Jeux en toute sécurité ». Venu de Grèce, le vol JAL 2020 transportant la flamme olympique a atterri, vendredi, à l’aéroport de Higashimatsushima (Nord-est). Le départ de son parcours de 121 jours dans les 47 départements du pays est maintenu le 26 mars à Fukushima (Nord-est). « On ne va pas dans le sens d’une annulation », considère un proche de l’organisation, qui note que « les entreprises continuent les préparatifs ».
Le premier ministre, Shinzo Abe, affirme avoir reçu le soutien de ses homologues du G7 pour organiser les jeux dans « leur forme complète » afin de prouver que « l’humanité peut surmonter » la pandémie. Et ce même si le vice-président du Comité olympique japonais (COJ), par ailleurs président de la fédération japonaise de football, Kozo Tashima, 62 ans, a été testé positif après un voyage en Europe au début du mois pour assister à l’assemblée générale de l’UEFA.
Depuis son retour, il a rencontré des dizaines de personnes, dont le président du Comité d’organisation des jeux, Yoshiro Mori, 82 ans et affecté d’un cancer des poumons, qui ne présenterait pas de symptômes du virus et qui a assisté à la cérémonie d’accueil de la flamme.
« Il y a une fuite des responsabilités »
« L’obsession des organisateurs pour la tenue des JO tenue interroge. J’ai l’impression qu’ils pensent plus à l’argent qu’à la santé de la population », estime Yuriko Yoshizawa, travailleuse indépendante dans le secteur touristique.
Le coût des JO est estimé officiellement à 1 350 milliards de yens (11,4 milliards d’euros). L’impact économique d’une annulation, ajoutée à celle du coronavirus, pourrait réduire le produit intérieur brut du pays de 1,4 %, selon une étude de SMBC Nikko Securities.
Beaucoup dénoncent de ce fait un déni de réalité au Japon, où personne, notamment les médias, qui ne veulent rien dire de négatif car ils sont partenaires de l’événement, ne pose réellement la question de la tenue des jeux.
« Il y a aussi une fuite des responsabilités, comme si personne ne voulait décider. Le CIO dit qu’il suivra les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’OMS affirme que la décision revient au Japon et le Comité olympique japonais dit attendre le choix du CIO », ironise l’écrivain, Ken Kawakita, pour qui « cette crise met en évidence la réalité des Jeux olympiques, leur hypocrisie car au final, il apparaît que le plus important, c’est l’argent. On est loin du ’’L’athlète avant tout’’ ».
M. Kawakita, pourtant grand amateur d’événements sportifs, n’est pas loin de partager l’avis de Taro Aso. « Souvenez-vous que l’idée d’organiser les JO a été lancée par le gouverneur de Tokyo, Shintaro Ishihara, le 12 avril 2011, un mois à peine après le séisme, le tsunami et la catastrophe nucléaire de Fukushima ». Auparavant, M. Ishihara avait qualifié la catastrophe qui avait ravagé le nord-est du Japon de « punition divine » pour un archipel qu’il jugeait trop « matérialiste ». « Je me demande si cette punition divine ne tombe pas maintenant », ajoute M. Kamakita.
Le report des JO « est possible », reconnaît le patron de l’athlétisme mondial
Les Jeux olympiques de Tokyo pourraient être reportés plus tard dans l’année en raison de la pandémie de coronavirus, a reconnu, jeudi 18 mars, le président de la Fédération internationale d’athlétisme Sebastian Coe, tout en affirmant qu’il était trop tôt pour prendre une décision définitive. « C’est possible, tout est possible actuellement », a déclaré Coe, interrogé par la BBC sur un potentiel report des JO-2020 (24 juillet-9 août) à l’automne. « Je pense que la position que le monde du sport a adoptée, et c’est certainement le sentiment que j’ai eu lors de notre conversation avec le CIO et d’autres fédérations l’autre jour, c’est que personne ne dit que nous irons aux Jeux quoi qu’il arrive », a ajouté le patron de World Athletics. « Mais ce n’est pas une décision qui doit être prise aujourd’hui », a-t-il insisté.
Source : Le Monde.fr
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