Tribune. L’Asie observe la guerre en Ukraine avec inquiétude, et les positions des Etats asiatiques ne sont peut-être pas aussi claires que ce que l’Occident peut imaginer. A première vue, la Chine soutient la Russie, tout en appelant les « deux parties » au calme, et le Japon suit les Etats-Unis et l’Europe sur des sanctions très sévères. Mais Tokyo s’inquiète aussi d’une rupture trop radicale avec Moscou et des conséquences de la crise pour la stabilité stratégique en Asie. Quant à Pékin, il n’est peut-être pas si satisfait de cette nouvelle démonstration de force de Moscou.
Beaucoup voient dans la crise ukrainienne un encouragement pour la République populaire de Chine (RPC) à se lancer à la conquête de Taïwan. L’annonce immédiate du président américain Joe Biden du non-engagement militaire des Etats-Unis et de l’OTAN en Ukraine ne peut être interprétée à Pékin que comme une preuve de plus de la faiblesse des démocraties, incapables de prendre de vrais risques pour défendre leurs valeurs communes. Certains scénarios sont plausibles, comme une opération éclair contre les îlots taïwanais de Matsu et Kinmen, à quelques encablures des côtes chinoises, qui démontrerait à toute l’Asie les limites du parapluie américain.
Mais la Chine n’est sans doute pas encore prête à faire ce pari risqué. Les risques d’escalade seraient très élevés. La situation est, en effet, différente de celle de l’Ukraine : Joe Biden n’a pas déclaré a priori qu’il n’interviendrait pas militairement pour défendre Taïwan. L’ambiguïté stratégique laisse la porte ouverte à un soutien militaire en cas d’invasion chinoise. Les conséquences d’un abandon de Taïwan par la première puissance mondiale aggraveraient encore le déséquilibre stratégique dans lequel le monde s’est engagé, avec des réactions en cascade dans toute l’Asie. La population sud-coréenne n’est pas hostile à l’acquisition d’une capacité nucléaire et nul ne peut préjuger des réactions de Tokyo, en dépit du pacifisme réel de l’opinion publique.
Contradiction des Occidentaux
Dans le même temps, les dirigeants chinois n’ont pu qu’engranger avec satisfaction toutes les déclarations occidentales qui condamnaient avec fermeté le « séparatisme » au Donbass ; dans des termes qui rappellent étrangement ceux du régime chinois qui s’élève constamment contre ce « fléau du séparatisme » à Taïwan comme au Xinjiang ou au Tibet. Si un jour Pékin devait intervenir dans le détroit, il aurait beau jeu de brandir cette contradiction des puissances occidentales prises entre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et l’intangibilité des frontières.
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Source : Le Monde.fr