Shigeki Tominaga a été l’un des spécialistes japonais contemporains les plus originaux de l’histoire et de la pensée françaises. Né le 29 mars 1950, à Otsu, entré à l’université de Kyoto en avril 1969, quand la contestation étudiante embrase encore la société japonaise, il participe à corps perdu à son aventure. Boursier du gouvernement français en 1976, il enseigne à partir du printemps 1981 dans la grande cité portuaire de Nagasaki puis, en 1984, rejoint l’université de Kyoto, où il reste jusqu’à sa retraite, en mars 2015. Il est mort le 8 décembre, à l’âge de 71 ans, à Kyoto.
Eloigné d’une vulgate positiviste peu portée sur l’imagination à l’université et d’une nouvelle pensée française – Foucault, Barthes, Deleuze, etc. – qui bientôt régnera sur elle, Tominaga choisit de consacrer sa vie de chercheur à Alexis de Tocqueville, inspiré qu’il est par la lecture d’une étude de Jean-Claude Lamberti et d’un livre de Pierre Birnbaum parus en 1970.
Autant que ses analyses politiques des temps inauguraux de la démocratie moderne, il perçoit l’acuité d’un regard mélancolique et pessimiste sur un monde moderne où l’individu, emporté par les foules, ballotté par les idéologies, courtisé par les marchands du temple peine à trouver sa liberté.
Critique du conformisme collectiviste du Japon
Tominaga interroge les transformations de la société française après la Révolution à travers la valse-hésitation de ses changements de régime, mais, à leur lumière, il esquisse une critique du conformisme collectiviste du Japon où les promesses des mouvements sociaux, des avant-gardes artistiques, des rêves politiques des années 1960 se sont brisées contre une vox populi plus soucieuse de sécurité que de liberté, soumise au règne d’un parti pourtant nommé libéral et démocratique, étouffée d’abondance.
Les premiers travaux de Tominaga examinent les pathologies des villes modernes à travers l’étude des transformations urbaines de Georges Eugène Haussmann dans un Paris que Tominaga connaissait aussi bien que Léon-Paul Fargue. Son premier livre, « introduction aux discours sur la santé » (non traduit, 1978), met en garde contre ces sociétés du bien-être fondées sur l’effacement de l’individu, et la transformation du monde en un grand hôpital – le plus souvent psychiatrique.
Les recueils individuels qui suivent, « la mélancolie des villes : pour une sociologie des émotions » (non traduit, 1996), « à la rencontre des musées » (non traduit, 1998), « les usages de la raison : comment l’individu devient-il citoyen ? » (non traduit, 2005), explorent eux aussi l’histoire française depuis la fin de l’Ancien Régime jusqu’à l’avènement de la IIIe République pour y suivre les formes créatrices de lien social – associations, salons, clubs politiques – et les contre-pouvoirs garants des libertés individuelles.
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Source : Le Monde.fr
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