Shigeru Yokota et Sakie Yokota, les parents de Megumi, Japonaise enlevée par la Corée du Nord quand elle avait 13 ans, lors d’une conférence de presse en décembre 2007.
Shigeru Yokota et Sakie Yokota, les parents de Megumi, Japonaise enlevée par la Corée du Nord quand elle avait 13 ans, lors d’une conférence de presse en décembre 2007. AFP

Figure attachante et émouvante de la lutte pour le rapatriement des Japonais enlevés dans les années 1970-1980 par des agents nord-coréens, à commencer par sa fille Megumi, Shigeru Yokota est mort le 5 juin, à Kawasaki, à l’âge de 87 ans. « Mon mari et moi avons fait de notre mieux ensemble, mais il est mort avant de revoir Megumi. Je suis bouleversée », a déclaré son épouse, Sakie, 84 ans, dans un communiqué, également signés par ses fils, Takuya et Tetsuya.

Le retour de sa fille fut le combat de la vie de Shigeru Yokota. Megumi avait 13 ans lorsqu’elle a disparu, un soir de novembre 1977, alors qu’elle rentrait à la maison après un entraînement de badminton au collège. A l’époque, la famille vivait dans un pavillon à Niigata (nord) sur la côte de la mer du Japon. Shigeru Yokota travaillait à la branche locale de la Banque du Japon.

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Longtemps, la famille s’est interrogée sur cette disparition : fugue, suicide, enlèvement, toutes les options furent envisagées. « Nous passions nos journées à souffrir le martyre de cette mystérieuse disparition », raconte le père de Megumi dans un manga, Megumi (2008), édité en plusieurs langues par le gouvernement et adapté en film d’animation pour sensibiliser l’opinion internationale au sujet des enlèvements par les agents nord-coréens.

Pétitions, interventions publiques

L’incertitude dure jusqu’au milieu des années 1990 et aux révélations du quotidien Sankei. S’appuyant sur les déclarations d’un transfuge du Nord, le journal parle d’une adolescente enlevée vers 1977. Les Yokota y voient leur fille. L’information est confirmée en 1997 par un secrétaire parlementaire annonçant à la famille que Megumi était vivante et se trouvait en Corée du Nord. « J’étais soulagé car le cauchemar prenait fin », confie alors Shigeru Yokota.

Tout en rondeurs, les cheveux blancs, volubile, il crée en mars 1997 l’Association des familles de victimes d’enlèvements par la Corée du Nord (AFVKN), qu’il dirigera jusqu’en 2007. Au terme de discussions animées au sein de la famille, il décide aussi de rendre public le nom de sa fille « même si cela pouvait amener la Corée du Nord à l’éliminer ». L’association multiplie les initiatives, pétitions, interventions publiques, pour sensibiliser la population. Avec le temps, Megumi devient le symbole de leur lutte.

Le mouvement a bénéficié de l’appui, non sans arrière-pensées politiciennes, du gouvernement nippon et notamment de l’actuel premier ministre, Shinzo Abe. Alors simple parlementaire, M. Abe a forgé sa popularité au début des années 2000 en affichant une position de fermeté sur ce dossier.

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Un mariage et un enfant

Comme les autres familles de kidnappés, les Yokota ont vécu aux rythmes des négociations entre Tokyo et Pyongyang. Cinq des dix-sept personnes officiellement reconnues par le Japon comme kidnappées par le Nord ont pu revenir en 2002. Pyongyang, qui n’en reconnaît que treize, maintient que huit autres sont mortes. Megumi se serait suicidée en 1994. Le Japon conteste cette version car les restes remis en 2004 par Pyongyang présenteraient un ADN différent.

Les Yokota n’ont jamais accepté l’idée de la mort de leur fille. Hitomi Soga, l’une des cinq kidnappés revenus en 2002, l’avait rencontrée à Pyongyang. Les Yokota ont, par la suite, appris que Megumi avait épousé en 1986 Kim Young-nam, un Coréen du Sud lui aussi enlevé, et que le couple a eu une fille. En mars 2014, à Oulan-Bator, en Mongolie, les Yokota, ont pu passer un moment avec cet enfant, Kim Eun-gyong.

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Les appels à retrouver leur fille, en invoquant leur grand âge, n’ont finalement rien donné, en raison de la dégradation des relations entre le Japon et la Corée du Nord du fait des essais nucléaires et des tirs de missiles par Pyongyang, ainsi que du choix de M. Abe d’adopter une position ferme envers le Nord. Le dossier des enlèvements est resté prisonnier d’enjeux politiques dépassant la simple question humanitaire, et Shigeru Yokota n’a pu revoir sa fille.

Shigeru Yokota en quelques dates

14 novembre 1932 Naissance à Tokushima (Japon)

15 novembre 1977 Enlèvement de sa fille Megumi

1997 Crée l’Association des familles de victimes d’enlèvements par la Corée du Nord

5 juin 2020 Mort à Kawasaki (Japon)

Source : Le Monde.fr

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