Le Français Clément Sans est récemment devenu moine zen, ordonné sous le nom de Tozan (« la montagne du pêcher »). Chaque mois, il nous envoie une lettre qui nous fait partager ses réflexions et son quotidien singulier, presque hors du temps. Après deux ans passés au temple Antai-ji, dans les montagnes de l’île Honshu, il poursuit désormais sa pratique à Kyoto, l’ancienne capitale impériale du Japon.
Lettre de décembre. Kyoto est réputée pour ses saisons nettes et tranchées. Déjà, les érables ont perdu leurs feuilles et un vent sec ceinture la ville désormais installée dans l’hiver. Pour les Japonais, cette période est d’abord celle des kakis séchés, des radis mijotés et des huîtres chaudes.
Dans le bouddhisme zen, le mois de décembre est lui aussi un peu particulier. Du premier au sept, les moines pratiquent une longue période de recueillement et de silence, se concluant dans la nuit du 8 décembre par la cérémonie dite de « Jodo-e », la commémoration de l’éveil du Bouddha historique, l’un des jours les plus importants de l’année liturgique.
Dans les incalculables livres et articles tentant d’expliquer au profane l’essence du zen, cet éveil spirituel est souvent décrit comme étant « l’abandon de l’ego », « l’unité avec l’univers », « l’état joyeux du soi originel ». Tout un tas de mots ambigus et volontairement indéfinissables sont utilisés pour caractériser l’expérience révolutionnaire du Bouddha.
Lors de ma première initiation à la méditation zen, je me souviens de l’unique véritable conseil donné par le moine chargé de la séance, me laissant quelque peu sur ma faim : « Faites attention, chercher l’éveil à tout prix n’est pas le zen. » Certes, mais une fois dit cela, qu’avez-vous réellement expliqué au jeune débutant un peu trop avide de réponses ?
Dans les temples zen Soto du Japon, personne ne parle nettement de l’éveil, des conditions de son apparition, des méthodes claires pour l’attester, le confirmer ou l’actualiser. Lors de mon noviciat, je n’ai pas en mémoire avoir entendu une description détaillée sur l’éveil de la part de mes enseignants, malgré l’abondante littérature traditionnelle sur le sujet qu’il serait ici trop long de détailler.
D’une certaine manière, l’institution zen fondée sur l’éveil du Bouddha semble tout faire pour éviter de parler avec précision de cette même expérience, comme si nous n’étions plus capables de faire confiance au récit d’une réalisation spirituelle majeure et définitive.
L’éveil au quotidien
Le moine Kodo Takeuchi notait, dans un célèbre sermon, la difficulté de parler d’une grande illumination intérieure, celle-ci pouvant devenir ordinaire et anecdotique une fois mise en mots. Est-il d’ailleurs seulement possible de parler d’une expérience religieuse ?
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Source : Le Monde.fr