On aurait pu faire moins déroutant comme entrée en matière pour une exposition consacrée à l’architecture japonaise contemporaine qu’un exposé sur l’histoire de l’Asile flottant, la péniche que Le Corbusier avait réhabilitée en 1929 à la demande de l’Armée du Salut. Elle finit au fond de la Seine en 2018 à la suite d’une crue du fleuve, fut ensuite remise à flot et termine aujourd’hui d’être restaurée (arrimée quai d’Austerlitz, elle devrait rouvrir au public prochainement). Mais ce choix s’explique. Par le fait, d’abord, que l’exposition, initialement prévue pour ouvrir en 2018, devait se tenir sur la péniche, et qu’elle est produite par l’Architectural Design Association of Nippon (ADAN), l’organisme qui a procédé à son sauvetage et qui en supervise la restauration. En 2008, l’architecte japonais Shuhei Endo, son vice-président, avait, en outre, conçu une structure métallique pour l’envelopper pendant qu’une équipe française y faisait des travaux.
Cette histoire est aussi une manière détournée d’ancrer historiquement l’exposition intitulée « Quand la forme parle. Nouveaux courants architecturaux au Japon (1995-2020) ». Les projets qu’elle réunit sont présentés comme étant symptomatiques d’un changement de paradigme qui aurait affecté l’architecture japonaise après l’éclatement de la bulle spéculative des années 1990, et qu’auraient radicalisé en quelque sorte les catastrophes naturelles du XXIe siècle, comme le séisme de la côte pacifique du Tohoku et le tsunami qui a conduit, en 2011, à la catastrophe nucléaire de Fukushima. Forcés de s’accommoder d’une économie paupérisée, conscients de leur responsabilité sociale et écologique, les architectes japonais nés après 1960 ont rompu avec l’approche de leurs illustres aînés, ces stars mondiales qui, de Kenzo Tange à Shigeru Ban, de Toyo Ito à Tadao Ando, ont rapporté au Japon plus de prix Pritzker qu’aucun autre pays n’a jamais rêvé d’en gagner, pour qui Le Corbusier était une référence totémique et l’architecture occidentale, plus généralement, une matrice intellectuelle.
Savoir-faire anciens
Vaccinée contre l’architecture iconique et les tentations mégalomaniaques qui vont avec, la jeune garde dont les projets sont exposés à la Maison de la culture du japon (après avoir passé plusieurs mois au Frac Centre-Val de Loire) s’est détournée de ces références pour revenir aux fondamentaux de l’architecture japonaise. Réinterprétant les savoir-faire anciens à la lumière des usages contemporains, associant des matériaux traditionnels aux techniques modernes, adaptant les formes vernaculaires aux conditions environnementales et sociales de notre temps, ces architectes incarnent un mouvement qui a gagné la société tout entière. Le caractère artisanal des maquettes présentées dans l’exposition, alliage de précision sidérante et d’un léger tremblé qui conserve l’empreinte du processus de fabrication, en est l’expression éloquente.
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Source : Le Monde.fr