Des milliers de familles coréennes ou taïwanaises se battent pour obtenir la sortie des âmes de leurs proches, admises, sans leur accord, au sanctuaire Yasukuni, symbole du militarisme nippon.
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LETTRE DE SÉOUL
« Tout est forcé. Le travail était forcé. L’âme a été forcée. » Lee Hee-ja ne décolère pas. Voilà vingt-cinq ans que l’énergique septuagénaire sud-coréenne se bat pour obtenir que l’âme de son père soit retirée de Yasukuni, le sanctuaire du culte shinto (première religion du Japon) créé en 1869. Dans ce lieu, sont honorées les âmes de 2,4 millions de morts à la guerre devenues des « kami » ou divinités – mais aussi celles de quatorze dirigeants nippons reconnus coupables de crimes de guerre.
En Corée, colonisée de 1910 à 1945, comme en Chine, cette institution du cœur de Tokyo reste un symbole de l’impérialisme nippon. Les visites qu’y effectuent les chefs des gouvernements japonais – la dernière en 2013 par l’actuel premier ministre, Shinzo Abe –, sont ressenties comme une insulte à la mémoire des victimes du Japon militariste.
Contentieux mémoriels
Les tensions actuelles entre Séoul et Tokyo, amorcées par la condamnation en Corée du Sud en octobre 2018 du sidérurgiste japonais Nippon Steel & Sumitomo Metals à dédommager des travailleurs forcés du temps de la guerre, et qui se poursuivent sur le plan commercial, ravivent les contentieux mémoriels, dont celui autour des 21 000 âmes de Coréens admises à Yasukuni, parfois sans l’accord des familles.
C’est le cas du père de Mme Lee. « Je n’avais qu’un an quand il a été mobilisé en 1944. A l’indépendance en 1945, il n’est pas revenu. » Les décennies qui suivent, marquées par la guerre de Corée (1950-1953) puis par la croissance à marche forcée sous des régimes autoritaires, compliquent le travail de mémoire. « En 1987, après la fin de la dictature, j’ai commencé à chercher ce qu’il était devenu. En 1992, grâce à l’aide d’ONG japonaises, j’ai trouvé la date et le lieu de son décès. En 1997, j’ai appris que son âme était à Yasukuni. »
Le père de Mme Lee est décédé en juin 1945 à l’hôpital militaire 181 de Guangxi, en Chine. « Il avait été enrôlé comme travailleur pour l’armée. Il ne combattait pas. Il a été blessé lors d’un bombardement. » Son âme a été admise à Yasukuni en 1959. La famille n’en a jamais rien su. La douleur est d’autant plus vive qu’il est enregistré sous son nom japonais, l’occupant nippon ayant mené dès 1939 une politique, appelée « Soshi Kamei », de japonisation forcée des noms coréens.
Source : Le Monde.fr