« Le culte des ancêtres invite à vivre dans la gratitude d’un héritage à incarner »

Le Français Clément Sans est récemment devenu moine zen, ordonné sous le nom de Tozan (« la montagne du pêcher »). Chaque mois, il nous envoie une lettre qui nous fait partager ses réflexions et son quotidien singulier, presque hors du temps. Après deux ans passés au temple Antai-ji, dans les montagnes de l’île d’Honshu, il poursuit désormais sa pratique à Kyoto, l’ancienne capitale impériale du Japon.

Lettre de mai. A Kyoto, le printemps est à son maximum. Des milliers de verts différents semblent avoir colonisé les pentes abruptes à l’ouest comme à l’est, et les azalées regroupées en bosquets donnent de la couleur aux jardins minéraux des temples du nord de la ville. Comme chaque mois, les petits temples familiaux comme les gros complexes monastiques suivent le calendrier liturgique, semblant sans cesse tourner autour d’une seule et même chose : la commémoration des ancêtres.

L’une des vocations principales des temples est de connecter spirituellement les laïcs avec les membres décédés des familles. Une amie japonaise, propriétaire d’un petit café se situant à l’intérieur d’un important temple zen de Kyoto, me disait il y a quelques jours : « A la maison, je fais les prières face à l’autel familial, chaque jour je donne des offrandes d’encens et de fleurs. Et je vais au cimetière du temple même si, au fond de moi, je ne crois pas vraiment au bouddhisme. »

Sans toujours parfois savoir pourquoi, les fidèles prient, donnent, se prosternent en accompagnant en esprit ceux qui nous ont quittés. D’une manière ou d’une autre, ces actes de gratitude permettent de les relier avec leur propre destin, faisant de la commémoration du passé l’horizon du pratiquant, les morts ne quittant jamais vraiment la vie quotidienne au Japon.

Confucius, les bouddhas et les patriarches

En tant que rite, ce rapport aux ancêtres dépasse très largement le seul cadre du bouddhisme, s’attachant à toute structure sociale traditionnelle. Au Japon, pays où le confucianisme chinois a largement infusé, le respect religieux des anciens et des ancêtres n’est pas tant affaire de foi, de conviction personnelle, d’opinion, mais bien plutôt une question de rites et d’actes, où la réalisation formelle d’une cérémonie précède souvent l’adhésion intellectuelle ou sentimentale.

Cette pratique ordinaire s’intègre pourtant bien dans une tradition plus vaste, le culte des « bouddhas et des patriarches » (busso, en japonais). Chaque matin dans les temples zen est chanté le sodo fugin, un service liturgique dédié aux générations successives des bouddhas et des ancêtres qui ont transmis l’enseignement et ont rendu possible la pratique jusqu’à nous, chaque nom étant cité dans un interminable cérémoniel.

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Source : Le Monde.fr

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