« Nous, les Aïnous, savons interpréter nos rêves. Un corbeau dans un songe nous guide par son regard ou son croassement. » Artiste, poétesse et militante des droits de cette minorité ethnique du Japon, Shizue Ukaji perpétue les traditions aïnoues, intimement liées à la nature.
Dans sa petite maison du village de Shiraoi, au sud-ouest d’Hokkaido, la grande île du nord du Japon, l’énergique octogénaire se protège des mauvais esprits avec des touffes de gui, se maintient en forme avec des infusions d’écorce râpée de l’arbre au liège du fleuve Amour et lit donc les messages du corbeau des songes, divin annonciateur du panthéon aïnou – dominé par l’ours, « dieu de la montagne », le hibou protecteur des villages et le saumon nourricier.
« Notre culture ne se résume pas à des chants et des danses. L’essentiel des traditions transmises de génération en génération est dans la vie quotidienne, dans la cuisine », assène Shizue Ukaji, très hostile à la récupération de leur culture à des fins touristiques et mercantiles. L’immense succès du manga Golden Kamui (kamui signifie « divinité » en aïnou), dont la quatrième saison de la version animée sera disponible le 4 octobre en streaming en est un exemple.
Les critiques de Shizue Ukaji visent aussi et peut-être surtout le musée Upopoy – « un lieu sans âme », selon elle –, inauguré en juillet 2020, à quelques centaines de mètres de chez elle. Le but ce « musée national Aïnou » est de « raviver et de développer davantage la culture aïnoue », rappelle son directeur, Shiro Sasaki, ancien chercheur du renommé musée d’ethnologie d’Osaka.
« Leur propre langue, religion et culture »
Le sombre bâtiment, fondu dans la verdure le long du lac Poroto face à la silhouette massive du volcan Tarumae, abrite une salle unique détaillant l’artisanat et la spiritualité aïnous, où on déambule de manière circulaire, mais ne convainc pas les membres de la minorité.
« Il est loin de refléter l’attachement des Aïnous à la nature, qu’ils préservaient pour les générations futures », tranche Ryoko Tahara, présidente de l’association Menoko Mosmos (« réveillez-vous, femmes aïnoues »). Surtout, il élude les blessures infligées au fil du temps à ce peuple sans doute venu de Sibérie avant l’ère Jômon (14 000-300 av. J.-C.).
Animistes, vivant de chasse et de cueillette, les Aïnous sont mentionnés dans les chroniques nippones dès le VIIIe siècle.
Les Aïnous (du mot anyu : « humain ») ont longtemps rayonné sur un vaste territoire couvrant Sakhaline (actuelle Russie), les îles Kouriles, Hokkaido et le tiers septentrional de l’île de Honshu. Animistes, vivant de chasse et de cueillette, ils sont mentionnés dans les chroniques nippones dès le VIIIe siècle. Repoussés peu à peu vers le nord, sur l’île d’Hokkaido, ils tombent sous la férule japonaise en 1789.
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Source : Le Monde.fr