La Coupe du monde, qu’accueille le pays ? Un succès. Le parcours de l’équipe nationale dans ce Mondial à domicile ? Un sans-faute jusqu’à présent, avec deux victoires − contre la Russie et, surtout, l’Irlande − et un troisième match, face aux Samoa samedi 5 octobre, pour lequel elle se présente en favorite.
Autant dire que tout cela a de quoi réjouir les dirigeants du rugby japonais. Ces derniers entendent bien en profiter pour avancer sur le terrain de la professionnalisation de ce sport. Un projet de création d’une Top League, un championnat qui serait lancé en 2021 et réunirait 12 clubs − un pour chacune des villes hôtes de la coupe du monde −, devrait ainsi être dévoilé mi-novembre.
« Nous devons rapidement finaliser la ligue professionnelle si nous voulons rivaliser au niveau mondial. » Kensuke Hatakeyama, ancien international
Ce projet est piloté par Katsuyuki Kiyomiya, figure du rugby japonais et vice-président de la Japan Rugby Football Union (JRFU). « C’est le seul moyen de changer le rugby japonais », de redynamiser un sport qui ne compte que 75 000 pratiquants, contre plus de 200 000 dans les années 1980, assure celui qui a été nommé à ce poste par Yoshiro Mori, ancien premier ministre et grand ordonnateur du rugby nippon.
« Nous devons rapidement finaliser la ligue professionnelle si nous voulons rivaliser au niveau mondial », appuie Kensuke Hatakeyama, ancien international et président de l’association des joueurs japonais.
Plus simple à dire qu’à faire. Yoshiro Mori a ainsi renvoyé, le 29 juin, les dirigeants de la JRFU, comme Yuichi Ueno, qui s’opposaient à la professionnalisation. Celle-ci mettrait fin au traditionnel système du rugby d’entreprise, auquel beaucoup restent attachés. « On en parle, mais rien n’est décidé », glisse Yoshihiko Sakuraba, ancien deuxième-ligne international et du club de Nippon Steel, aujourd’hui manager des Seawaves de Kamaishi, une des formations pressenties pour devenir professionnelle.
Le rugby d’entreprise s’est développé après la guerre dans de grands groupes industriels pour le bien-être du personnel mais aussi pour l’image. Les joueurs étaient majoritairement des salariés. « Il fallait mener deux carrières, se souvient Takanobu Horikawa, manager général (et ancien joueur) des Yamaha Jubilo, employé à la comptabilité de l’industriel. A 17 heures, on arrêtait le travail. On s’entraînait de 18 à 20 heures et on retournait travailler. »
Des contrats
Les dirigeants d’entreprises apprécient les valeurs du rugby : intégrité, passion, solidarité, discipline et respect. « Les personnes qui ont de l’expérience dans le rugby s’engagent pleinement dans leur travail », affirme Hiroyuki Yanagi, président de Yamaha.
Certains employés atteignent le plus haut niveau. Takuya Kitade, talonneur de l’équipe du Japon, est un commercial du géant de l’agroalimentaire Suntory. Pour les joueurs, le rugby d’entreprise, c’est aussi une garantie d’emploi une fois la carrière terminée.
« Le matin de 8 à 10 heures, c’est la musculation puis on travaille de 10 à 15 heures, avant de repartir à l’entraînement. » Takanobu Horikawa, manager et ancien joueur des Yamaha Jubilo
En 2003, une réforme avait déjà été engagée afin d’instiller une dose de professionnalisme et tenter de relancer l’intérêt du public. Le championnat avait alors été réorganisé autour d’une Top League avec 16 équipes et d’une deuxième division, la Challenge League, réunissant huit clubs.
Conséquence : pour les joueurs, les heures de travail baissent au profit des entraînements. « Le matin de 8 à 10 heures, c’est la musculation puis on travaille de 10 à 15 heures, avant de repartir à l’entraînement », explique M. Horikawa.
Des contrats professionnels sont établis. Yamaha compte 50 joueurs, dont dix étrangers et cinq Japonais professionnels, dont la star Ayumu Goromaru, révélée lors de la Coupe du monde 2015 en Angleterre.
La réforme n’a pourtant pas modifié les fondamentaux. Le problème est que les équipes dépendent du bon vouloir des dirigeants. Celle de Yamaha est née d’un choix fait en 1984 par un groupe de dirigeants passionnés de rugby, à commencer par le numéro 3 d’alors, Hitoshi Nagayasu.
Investissement à perte
Pour les entreprises, le rugby fait surtout partie des opérations de la responsabilité sociale et n’a pas vocation à la rentabilité. « Les équipes achètent les tickets des matches à la fédération et les offrent aux employés », explique Yutaka Masamoto, manager de l’équipe de Yamaha. Il n’y a pas d’identification à une région comme cela peut se voir dans le football.
Aucun marketing, aucun parrainage, les entreprises investissent à perte, en moyenne 1,5 milliard de yens (13 millions d’euros) par an. Certes les moyens sont suffisants. Le centre d’entraînement de Yamaha, à Iwata (département de Shizuoka, centre), a des installations neuves et de grande qualité.
Mais la moyenne de fréquentation des stades de rugby ne dépasse pas 5 200 spectateurs. Même la venue de stars comme le Néo-Zélandais Dan Carter contre un million d’euros pour jouer avec Kobe Steel, n’a pas modifié la donne.
La vie de l’équipe dépend étroitement de celle de l’entreprise. « Au moment de la crise de 2008, le budget a été divisé par deux, se souvient Takanobu Horikawa. Yamaha a alors recruté ceux qui étaient en contrat pro. » Ce fut le cas d’Ayumu Goromaru, embauché au service de relations publiques, avant de redevenir professionnel après la Coupe du monde de 2015.
« Avec la situation économique actuelle, il devient de plus en plus difficile de continuer à entretenir une équipe de rugby », admet Kobe Steel, vainqueur du dernier championnat.
Les dépenses annuelles du rugby japonais s’élevaient en 2017 à 28,6 milliards de yens (242 millions d’euros), soit le troisième budget le plus élevé au monde, derrière le Top 14 et le championnat anglais. Mais les gains ne dépassent pas 3,8 milliards de yens (32 millions d’euros).
De quoi conforter l’argumentaire de M. Kiyomiya, qui peut s’appuyer sur le succès des Sunwolves, équipe créée en 2015 à Tokyo pour évoluer en Super Rugby, cette compétition qui oppose quinze franchises néo-zélandaises, australiennes, sud-africaines, argentines, australiennes et japonaises. L’équipe a fait le plein à chacun de ses matches dans la capitale nippone et, surtout, a attiré des sponsors.
Source : Le Monde.fr