LETTRE DE TOKYO
Lorsque l’on parle du crime organisé au Japon, s’impose à l’esprit la figure emblématique du yakuza. Or, le truand mythifié au cinéma avec ses tatouages, son petit doigt coupé en signe de repentance et son « code d’honneur » haut brandi n’a plus le monopole de la délinquance dans l’Archipel. De nouvelles figures de truands sont apparues. Une criminalité plus opaque, plus violente, moins prévisible et donc plus difficile à combattre qui pourrait, à terme, entamer l’image du Japon, pays le plus sûr du monde.
Cette nouvelle forme de délinquance a été baptisée Hangure (prononcer « hanguré ») par le journaliste d’investigation Atsushi Mizoguchi au début des années 2000. Ce terme forgé avec han (« moitié ») et le verbe gureru (« se conduire en délinquant »), devenu courant, est « réducteur car il recouvre en fait un large éventail de délinquants qui ne sont en rien des “demi-truands” », estime le criminologue Noboru Hirosue.
Pignon sur rue
Cette pègre indépendante, sans lien avec les grandes bandes de yakuzas est un effet pervers du durcissement des mesures contre le crime organisé prises depuis les années 1990 et qui seront encore renforcées en septembre.
Contrairement à Cosa Nostra en Sicile, dont le système repose sur l’omerta, les yakuzas ont fait de leur visibilité un capital social : se présentant comme des « organisations d’entraide », leurs bandes ont longtemps eu pignon sur rue, avec leur emblème figurant sur les cartes de visite des membres comme moyen d’intimidation.
Traditionnellement liée à la droite « par l’idéologie et l’action », rappelle Philippe Pelletier dans L’Empire des yakuzas. Pègre et nationalisme au Japon (Cavalier bleu, 291 pages, 22 euros), en cheville avec des hommes politiques, la pègre faisait régner l’ordre dans les franges marginales de la société.
Evitant de dépasser certaines bornes – longtemps, l’Archipel a été relativement préservé des drogues dures comme l’héroïne mais non des amphétamines –, contenant la petite criminalité, les yakuzas donnaient un « coup de main » aux hommes politiques ou à des entreprises. En échange, ils menaient leurs affaires, usant de la violence pour défendre leurs territoires mais s’attaquant rarement, en principe, au citoyen ordinaire.
Hémorragie des membres des grandes bandes
A la faveur de la « bulle financière » des années 1980, le système s’emballa : les yakuzas entrèrent dans le monde de la finance et dans les rouages de l’économie légale. Leur visibilité, émaillée de scandales dans lesquels étaient impliqués des banquiers et des hommes d’affaires, finissait par ternir l’image internationale du Japon.
Il vous reste 54.19% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
Source : Le Monde.fr