Carte blanche. A l’heure où tous nos regards rugbystiques se tournent vers le Japon, Coupe du monde oblige, qu’en est-il des rapports de ce pays avec les sciences modernes ? Des études récentes relativisent l’idée d’une simple occidentalisation des sciences introduite à l’ère Meiji, période de modernisation et de réforme du Japon à la fin du XIXe siècle.
Yulia Frumer, professeur d’histoire des sciences à l’université Johns Hopkins, montre qu’avant 1873, date de l’adoption par le gouvernement du système occidental, existait une variété de technologies et de normes de mesure des heures et des saisons qui eurent des effets considérables dans les domaines de la géodésie ou de la navigation, lesquels n’avaient rien à envier à l’Europe. Ainsi, alors que les premières horloges européennes arrivèrent au Japon dès la fin du XVIe siècle, les savants japonais les trouvèrent inutiles, peu compatibles avec leurs propres standards.
Le concept de « nature »
Au-delà de cette non-transmission, certains historiens des sciences rappellent aussi la proximité, voire le parallélisme des trajectoires avec l’Europe. Examinant les savoirs naturalistes entre le XVIe et le XVIIIe siècle, Federico Marcon, professeur à l’université de Princeton, insiste dans son livre The Knowledge of Nature and the Nature of Knowledge in Early Modern Japan (Chicago University Press, 2015) sur les rapprochements entre les cultures scientifiques, et sur la commune transformation du concept de « nature » (shizen).
Certes, une partie des techniques d’objectivation de la nature fut empruntée aux Hollandais à l’époque Edo, mais il montre comment, bien avant l’ère Meiji et l’arrivée des sciences modernes occidentales, des ruptures épistémologiques comparables à celles des pays européens furent possibles dans le contexte japonais.
De cette manufacture du naturalisme japonais propre au genre aujourd’hui disparu du honzōgaku, carnets d’histoire naturelle, naît une impression de familiarité avec le naturalisme occidental et l’idée que la nature y apparaît de plus en plus « sans nature » s’exprime dans cette volonté de « changer le monde » en le renommant, en lui donnant des fondations épistémologiques.
En somme, poursuit Marcon, l’« expansion des savoirs naturels dans l’Europe et le Japon de l’époque moderne comprend le même tableau de pratiques incluant la collection, la dissection, la plantation, l’élevage, et déplaçant la nature vers le séchage, l’embaumement, le catalogage, et l’introduction d’espèces étrangères dans différents écosystèmes ».
Source : Le Monde.fr
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