Chronique. Pour tous les familiers de l’industrie automobile, Toyota est un modèle, celui de la perfection organisationnelle. Ce sont ses ingénieurs qui ont popularisé le concept du « juste à temps » dans le monde entier. Chaque maillon de la chaîne industrielle, du producteur de boulons au fabricant de moteurs, est organisé pour produire en fonction de la demande et arriver en cadence sur le lieu même d’assemblage de la voiture, selon un rythme d’orchestre symphonique où chacun joue en mesure.
Mais la réalité est parfois rétive à cette harmonie disciplinée. Après les catastrophes naturelles, qui devraient se multiplier avec le réchauffement climatique, est arrivée la crise sanitaire qui a désorganisé la machine, provoqué le chaos logistique et déclenché une gigantesque pénurie symbolisée par celles des composants électroniques.
Voilà qu’aujourd’hui, un virus d’un nouveau genre vient s’insinuer dans les rouages de la machine, un virus informatique. Il est arrivé subrepticement par la porte d’un fournisseur de pièces plastiques, Kojima. Un message menaçant en anglais s’est soudain imposé sur l’écran des serveurs de l’entreprise, exigeant une rançon. Toyota a arrêté la production de ses 14 usines au Japon. L’entreprise promet de remettre en marche les chaînes dès ce mercredi 2 mars, mais en attendant, ce sont près de 13 000 véhicules qui n’ont pas été produits.
Montagnes et frontières
Immédiatement, les regards se sont portés vers la crise ukrainienne et la position de fermeté adoptée par le Japon vis-à-vis de la Russie. Mais les cybercriminels n’ont pas attendu la guerre pour frapper un peu partout dans le monde. Obnubilées ces derniers mois par le chaos logistique, les entreprises doivent aussi se préoccuper des routes immatérielles d’Internet, désormais tout aussi dangereuses et stratégiques que les voies maritimes ou ferroviaires. A chaque carrefour, on peut y croiser des pirates, surtout quand certains Etats soufflent sur les braises.
En 2005, le journaliste américain Thomas Friedman faisait sensation en publiant son livre La Terre est plate, une brève histoire du XXIe siècle (éd. Saint-Simon, 2006). Il y constatait l’abolissement des frontières économiques et politiques sous le double effet de la mondialisation et de la révolution numérique. Le « juste à temps » façon Toyota était l’un des plus ardents représentants de ce nouveau monde. Mais la planète tourne désormais de plus en plus le dos à cette course à l’efficacité. Après la crise sanitaire, le retour de l’inflation, de la guerre en Europe et la montée de la menace climatique en sont les signes extérieurs les plus évidents. La terre retrouve ses montagnes et ses frontières, et ce n’est pas forcément une bonne nouvelle.
Source : Le Monde.fr