Réfugiés : le Japon met les moyens… chez les autres – Libération
C’est non. Le Japon n’ouvrira pas ses portes aux réfugiés en provenance de Syrie. Le Premier ministre Shinzo Abe l’a déclaré sans détour, mardi soir, lors d’une conférence de presse à New York en marge de l’Assemblée générales des Nations unies. «C’est une question de démographie. Je dirais que, avant d’accepter des immigrants ou des réfugiés, nous avons besoin de plus d’activités pour les femmes, les personnes âgées et nous devons élever notre taux de natalité. Il y a beaucoup de choses que nous devrions faire avant d’accepter des immigrants.»
Plus de 1,5 milliard de dollars
Un peu plus tôt à la tribune de l’ONU, le chef du gouvernement avait annoncé le versement d’une aide de 1,56 milliard de dollars pour les réfugiés d’Irak et de Syrie. Il débloquera d’abord 810 millions de dollars pour l’assistance d’urgence aux personnes déplacées ou ayant fui ces deux pays, un montant trois fois supérieur à celui versé en 2014. Les 750 millions restants seront affectés aux efforts de paix et de stabilisation au Moyen-Orient et en Afrique. Face à la crise migratoire qu’affrontent l’Europe et le Proche-Orient, le Japon opte donc pour une réponse financière. Si le Japon, après les Etats-Unis, reste le deuxième contributeur au budget du Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) de l’ONU, il n’entend pas changer de politique migratoire. Il rejoint la Corée du Sud, la Russie et Singapour qui n’ont pas ouvert non plus leurs portes aux Syriens.
Tokyo n’a jamais été un pays d’accueil. Depuis le début de la guerre civile en 2011, seulement trois ressortissants syriens ont obtenu le statut de réfugié sur les 60 qui en avaient fait la demande. Et l’année dernière, seulement 11 demandes d’asile, toutes nationalités confondues, sur un total record de 5 000 ont été acceptées. Certes, on peut arguer que le Japon est à mille lieues du carrefour proche-oriental. Mais c’est également le cas du Venezuela et de l’Australie qui ont proposé d’accueillir respectivement 20 000 et 12 000 personnes.
«Faire un geste explicite»
«La réponse d’Abe est décevante car le Japon a les capacités pour porter assistance aux victimes de la guerre qui fuient leur pays, note Brian Barbour, le directeur de la protection et de l’assistance à l’Association japonaise pour les réfugiés (JAR). Nous avons proposé au gouvernement de l’aider et de l’accompagner dans l’accueil à réserver à ces personnes car le pays dispose des ressources et des compétences pour le faire. Mais il y a un réel manque de volonté. Cette question n’est pas prioritaire pour le gouvernement.»
En début de semaine, quinze associations et agences nippones avaient pourtant adressé une lettre officielle à Abe, l’enjoignant à faire «un geste explicite d’engagement» afin «d’accroître l’assistance aux réfugiés, y compris en [les] accueillant au Japon». Fortes d’une longue expérience et d’une expertise sur ces questions migratoires, les ONG proposaient même un partenariat au gouvernement. Déjà en juillet, le HCR demandait au Japon d’«envisager favorablement l’admission des réfugiés syriens pour des raisons humanitaires, afin de préserver l’espace de protection pour les réfugiés dans les pays voisins».
Les organismes d’aides suggèrent à Tokyo d’utiliser le programme de réinstallation des réfugiés institué par le HCR. Ce système, qui prévoit l’emménagement permanent dans un pays tiers de personnes résidant dans des camps en dehors de leur pays de naissance, a été mis en place en 2010 dans l’archipel. C’est à partir de cette date que le pays a vu croître les demandes d’asile, surtout en provenance des nations d’Asie du sud-est (Birmanie, Malaisie, Népal, Sri Lanka). 1 867 personnes se sont manifestées en 2011, puis 3 260 deux ans plus tard. Cette année-là, seulement six personnes ont reçu le statut de réfugié.
Migrants économiques et «faux réfugiés»
Les autorités nippones expliquent ce faible taux d’acceptation par un manque d’infrastructures. Elles ne cachent pas non plus leur préférence pour l’accueil d’une main-d’œuvre qualifiée ou qu’elle peut former. La semaine dernière, elles évoquaient la possibilité d’autoriser l’accès à «plusieurs dizaines» de jeunes Syriens. Elles mettent également en avant l’absence de communautés d’accueil dans un pays où les étrangers comptent pour moins de 2% de la population totale. Surtout, les services d’immigration se méfient des migrants économiques déguisés en «faux réfugiés». Même si Japon a ratifié la convention de l’ONU sur les réfugiés en 1981, «les demandeurs d’asile doivent toujours fournir des preuves de haut niveau» pour espérer décrocher le sésame, constate Brian Barbour. «Il y a un manque de compréhension et un grand nombre d’idées fausses sur les réfugiés au sein de la classe politique et de la population japonaise.»
Il y a quelques jours, l’ancienne patronne du HCR entre 1991 et 2000, la Japonaise Sadako Ogata, est sortie de sa retraite pour critiquer la politique migratoire de son pays et le «pacifisme proactif» de son Premier ministre. «Si le Japon n’est pas plus actif dans l’accueil des réfugiés, je dois dire qu’il n’y a pas lieu de parler de pacifisme proactif. […] Pour dire les choses simplement, il est extrêmement difficile d’être reconnu comme réfugié [au Japon]. Quinze ans ont passé depuis 2000 [depuis son départ du HCR, ndlr], mais rien ne semble avoir changé. C’est très décourageant.»
«Vous êtes seulement un participant ordinaire»
L’histoire de Joudi Youssef illustre cette situation. Ce jeune syrien de 31 ans, qui a atterri au Japon en 2012, a raconté ses mésaventures au journal Asahi Shimbun. Après avoir participé à des manifestations et organisé des rassemblements, il a quitté sa ville natale de Kameshli (près de la frontière turque) en 2012, redoutant d’être arrêté et contraint à se battre dans les rangs de l’armée syrienne. Il a demandé l’asile au Japon. En juillet, le ministère de la Justice a fini par lui refuser le statut : «Vous êtes seulement un participant ordinaire à des manifestations. Il est impensable que le gouvernement syrien accorde une attention particulière à vos mouvements. […] Il ne peut pas être reconnu qu’il y a une possibilité que vous soyez persécuté uniquement parce que vous êtes un Kurde.» Curieuse lecture de la convention de l’ONU sur les réfugiés. Le jeune Syrien a seulement été autorisé à rester au Japon avec un visa spécial établi sur des «considérations humanitaires» qui lui confèrent peu de droits.
Arnaud Vaulerin Correspondant au Japon
Article Source : politique japon – Google Actualités
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