Le Français Clément Sans est récemment devenu moine zen, ordonné sous le nom de Tozan (« la montagne du pêcher »). Chaque mois, il nous envoie une lettre qui nous fait partager ses réflexions et son quotidien singulier, presque hors du temps. Après deux ans passés au temple Antai-ji, dans les montagnes de l’île Honshu, il poursuit désormais sa pratique à Kyoto, l’ancienne capitale impériale du Japon.
Lettre de septembre. La pluie est retombée dans l’été finissant, l’odeur de l’herbe mouillée parfume l’allée des temples. La brume du matin couvre les montagnes du Nord et semble s’échapper de l’ancienne capitale, rejoignant les bords du lac Biwa. Comme une annonce de la saison des érables, les gâteaux de châtaigne sont réapparus, le saké d’automne colonise les étals. Bientôt, le goût du premier riz fraîchement récolté viendra exalter les palais.
Le mois d’août, consacré à la commémoration des ancêtres, est derrière nous. Afin de clôturer les cérémonies, l’abbé du Yokoji, petit temple zen de Kyoto fondé par un disciple de Dogen Zenji au XIIIe siècle, a prononcé un sermon. Les portes du bâtiment principal ouvertes, l’encens parfumant la pièce, les fidèles se sont tous réunis, les bras remplis de nourriture. Derrière eux, le cimetière du temple semblait se perdre dans la montagne.
Entre la vie et la mort, des frontières brouillées
L’abbé a rappelé cet épisode où Mokuren, l’un des principaux disciples du Bouddha, sauva sa mère des enfers. Selon la tradition, Mokuren aurait visité en vision ses parents défunts dans le monde de l’après-vie. Rassuré de voir son père sous la forme d’un sage brahmane, il trouva avec effroi une mère devant payer la dette de son mauvais karma. Rongée par l’avidité et la colère, amaigrie à l’image des fantômes affamés, la femme était incapable de se nourrir des offrandes des vivants qui, à peine portées en bouche, prenaient immédiatement feu.
Impuissant à sauver sa mère par sa seule force, Mokuren se rendit voir le Bouddha qui lui conseilla de reposer ses espoirs sur le sangha, la communauté des bouddhistes. Le disciple fit alors don de nourriture aux fidèles du Bouddha, puisant dans le mérite accumulé par tous pour purifier les offrandes, permettant à sa mère de se nourrir et de renaître en dehors du monde erratique des fantômes.
Au Japon, on raconte qu’un fantôme errera dans le monde des vivants tant qu’il ne trouvera pas réparation
Après une longue explication historique, l’abbé du temple conclut son sermon ainsi : « Le Bouddha est toujours avec nous au milieu des flammes. Je veux que vous pensiez à la manière de transmettre cette pensée des bouddhas et des patriarches, que vous considériez ces esprits perdus et affamés qui demandent à être sauvés, ces esprits qui sont vos proches et votre quotidien. A travers le service aux ancêtres, c’est le cœur sans conditions du Bouddha qui se partage depuis mille cinq cents ans, comme une chaîne ininterrompue de pères aimants et de mères aimantes qui vivent ensemble l’effort de la compassion. »
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Source : Le Monde.fr