Le Français Clément Sans est récemment devenu moine zen, ordonné sous le nom de Tozan (« la montagne du pêcher »). Chaque mois, il nous envoie une lettre qui nous fait partager ses réflexions et son quotidien singulier, presque hors du temps. Après deux ans passés au temple Antai-ji, dans les montagnes de l’île d’Honshu, il poursuit désormais sa pratique à Kyoto, l’ancienne capitale impériale du Japon.
Lettre d’avril. A Kyoto, la pluie aidant, les fleurs de cerisier sont déjà toutes tombées des arbres. Elles demeurent cependant observables partout : dans les poésies, sur les portes coulissantes des grands complexes bouddhistes du Kodai-ji, du Eikando ou du Chishaku-in, où les cerisiers pleureurs semblent déborder de compassion, s’écroulant vers le sol, ou encore dans les œuvres spectaculaires du peintre Mochizuki Gyokusen (1834-1913), qui s’évertua à représenter les cerisiers comme enveloppés de reflets d’or sur les immenses panneaux du temple Higashi Honganji.
Partout, toute l’année et sur tous les supports, comme une interminable liturgie, l’iconographie religieuse proclame cette voie des fleurs si chère aux Japonais. Est-ce les cerisiers qui ont rendu le bouddhisme audible aux Japonais, ou le bouddhisme qui fit du cerisier un arbre sur lequel méditer ? On ne saurait en tout cas détacher l’arbre de l’Archipel, axe totémique vers lequel on revient toujours.
L’esprit du Japon
Lors de sa remise du prix Nobel de littérature en 1968, Yasunari Kawabata (1899-1972) ouvra sa conférence de remerciement sur un poème du moine Dogen (1200-1253) : « Au printemps, les cerisiers en fleurs. En été, le coucou. En automne, la lune. Et en hiver, la neige, claire, froide ».
Pour Kawabata, ce poème aussi court que simple représente tout entier l’esprit du Japon, et le moine zen du XIIIe siècle avait su réunir tous les grands éléments : un rythme classique et musical, un sens de l’évocation et de la suggestion, une symbolique saisonnière puissante et universelle s’ouvrant sur l’évocation des fleurs. Ce qui se déploie dans la rotation de saisons jamais semblables et pourtant si répétitives, c’est aussi ce qui passe dans le cœur des hommes : un éternel mouvement replié dans le monde et l’environnement.
Les cerisiers inspirent la simplicité et la délicatesse d’esprit
Traditionnellement, la fleur sacrée du bouddhisme est le lotus. Une fleur pure et ample, s’ouvrant comme pour accueillir tous les êtres dans son large rayonnement, à la couleur immaculée, ramenant le pratiquant au monde détaché de l’éveil spirituel. Une fleur qui aussi s’épanouit dans le trouble des eaux boueuses, métaphoriquement dans la mondanité et les passions vulgaires. Une expression résumera ce paradoxe : Bonno soku bodai (« les désirs terrestres sont l’illumination ») ; ou une manière synthétique d’exprimer une réalité fondamentalement non duelle, dépassant la limite entre le sacré et le profane.
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Source : Le Monde.fr
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