En marge d’une grande artère de Yokohama, au Japon, un bâtiment d’angle entièrement vitré s’enfonce dans une rue pentue. Des dizaines d’orchidées en pot habillent les rebords des fenêtres, d’autres s’entassent partout où il y a un peu de place. Les fleurs déferlent sans discontinuer, nous expliquera-t-on, une fois la porte passée, depuis que Riken Yamamoto, le maître des lieux, a reçu, mardi 5 mars, le prix Pritzker. Ce petit bâtiment tout en mezzanines, c’est lui qui l’a conçu pour y loger son agence d’architecture. Il est situé à une centaine de mètres de la maison où il a passé son enfance, et où il vit toujours.
Qu’attendez-vous de votre nouveau statut d’architecte “pritzkérisé” ?
J’espère que ce prix va aider à faire entendre ma voix. Ce qui m’intéresse, moi, c’est de renforcer les communautés. C’est l’enjeu de l’association que j’ai créée, le Local Area Republic Labo, avec lequel nous remettons chaque année un prix aux architectes pour des projets de logement qui œuvrent pour la communauté. C’est précieux, les communautés. Elles ont toutes leur caractère. Je crois que l’architecture peut leur rendre cette force qu’elles avaient jadis au Japon et qu’elles ont perdue après la seconde guerre mondiale, quand le « zoning », cette manière d’isoler les activités les unes des autres, inventée en Occident, s’est imposé dans les villes japonaises. Je crois que l’architecture a le pouvoir de transformer la société.
En quoi l’architecture peut-elle contribuer à créer des communautés ?
En créant, dans les projets de logement, des espaces publics partagés, mais aussi en intégrant à l’intérieur des logements des espaces de travail, que les habitants peuvent exploiter eux-mêmes, ou louer à d’autres. Le coût de la maintenance des immeubles ne cesse de croître au Japon. Les gens sont parfois conduits à abandonner leur logement pour cette raison. Un voisin qui ouvre un commerce dans votre maison, ça peut être une solution pour s’en sortir.
Le grand ensemble de logements sociaux que vous avez conçu dans la baie de Tokyo, avec Kengo Kuma et Toyo Ito, a-t-il été bâti dans cette perspective ?
Absolument. Les bâtiments font quatorze étages. Près de mille habitants vivent là. Au rez-de-chaussée, il y a des boutiques, une crèche, des services. Une passerelle en bois, au premier étage, donne accès aux logements… C’est un espace public qui marche bien, je trouve, un paysage urbain pas si mal. En tant qu’architecte en chef du projet, je voulais que l’on puisse partitionner son logement à sa guise pour y intégrer des espaces de travail ou un petit commerce. Ça a marché un temps, jusqu’à ce que le gestionnaire de l’immeuble décide qu’il ne voulait plus de ce système. Aujourd’hui, la loi sur le logement empêche d’envisager de tels projets, mais elle doit être révisée cette année. J’ai écrit une tribune appelant à la faire évoluer.
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Source : Le Monde.fr