L’honneur est rare et, en l’occurrence, controversé. Des funérailles nationales ont débuté à Tokyo, mardi 27 septembre, en l’honneur de Shinzo Abe, l’ex-premier ministre japonais assassiné le 8 juillet. Sa veuve, Akie Abe, vêtue d’un kimono noir, a marché lentement dans le Budokan, le palais des arts martiaux, portant une urne contenant les cendres de son mari, dans une boîte en bois enveloppée d’une étoffe violette striée d’or. Des soldats en uniforme blanc ont ensuite placé l’urne sur un piédestal fleuri de chrysanthèmes jaunes et blancs. La garde d’honneur a tiré dix-neuf coups de canon.
Des membres du gouvernement, du Parlement et de l’institution judiciaire, dont le premier ministre en exercice, Fumio Kishida, vont prononcer des discours de condoléances, suivis par Akie Abe. Kamala Harris, la vice-présidente des Etats-Unis, est présente avec l’ambassadeur de Washington, Rahm Emanuel. Le public de quelque 4 300 personnes compte des dizaines de dignitaires étrangers.
Shinzo Abe avait été incinéré en juillet après des funérailles privées dans un temple de Tokyo, quelques jours après avoir été tué par balles, à 67 ans, alors qu’il donnait un discours de campagne à Nara, une ville de l’ouest du pays.
La capitale du Japon est sous sécurité maximale, mardi. Des heures avant la cérémonie, des centaines de personnes chargées de bouquets de fleurs attendaient près du parc Kudanzaka, où se trouve le palais Budokan, formant une file longue de plusieurs pâtés de maisons. Parmi eux, Masayuki Aoki, un commerçant de 70 ans, se souvient de son « check » avec Shinzo Abe à Yokohama, pendant la campagne sénatoriale, quelques jours à peine avant qu’il soit tué. « Je suis lié émotionnellement à lui, et j’ai aussi soutenu le PLD, dit-il. Je devais venir lui offrir des fleurs. » Masae Kurokawa, 64 ans, dit pour sa part voir en M. Abe « un grand responsable qui a ramené le Japon à un haut niveau sur la scène internationale. »
« Diplomatie des funérailles »
Fumio Kishida a jugé que son prédécesseur, fort de la plus longue longévité au pouvoir depuis 1945, méritait de telles funérailles nationales, mais elles divisent profondément l’opinion. La polémique s’est nourrie de l’absence de consultation démocratique, du coût élevé de l’initiative – près de 12 millions d’euros –, ainsi que des liens entre le défunt et son mouvement, le Parti libéral démocrate (PLD) – auquel appartient M. Kishida – avec l’Eglise de l’unification, aussi appelée secte Moon.
Des manifestations pacifiques contre l’événement ont parfois réuni plusieurs milliers de personnes ces dernières semaines et un nouveau rassemblement avait lieu mardi devant le Parlement. Un homme a aussi tenté de s’immoler par le feu près des bureaux du premier ministre la semaine dernière, pour protester contre l’hommage national, selon les médias locaux.
Le gouvernement soutient que la cérémonie n’a pas vocation à forcer quiconque à honorer Shinzo Abe. Les principaux partis d’opposition n’y assistent pas : parmi eux, nombreux sont ceux qui estiment que l’événement rappelle les gouvernements impériaux d’avant-guerre, qui utilisaient les funérailles d’Etat pour attiser le sentiment nationaliste.
Fumio Kishida a eu cette semaine des entretiens avec des visiteurs étrangers, dans ce qu’il a appelé une « diplomatie des funérailles ». Ces discussions doivent renforcer les liens du pays avec ses partenaires alors que le Japon fait face à plusieurs défis régionaux et globaux, avec des menaces venant de Chine, de Russie et de Corée du Nord. D’ici à mercredi, M. Kishida doit s’entretenir avec une quarantaine de dirigeants, mais aucun membre du G7.
« Menace sur la démocratie »
Les liens sont vieux de plusieurs décennies entre le PLD et l’ultraconservatrice Eglise de la réunification, accusée de récolter des dons faramineux en soumettant ses adhérents au lavage de cerveau. L’assassin de Shinzo Abe aurait dit à la police avoir agi en raison de ses liens avec la secte Moon : d’après ses déclarations, sa mère aurait gâché sa vie en dilapidant l’argent de la famille au profit de l’organisation.
« Que les liens étroits entre le PLD et l’Eglise de l’unification puissent avoir interféré dans les politiques publiques est vu, par les Japonais, comme une menace sur la démocratie plus grande que l’assassinat de M. Abe », écrit Jiro Yamaguchi, professeur de sciences politiques à l’université Hosei, dans un article récent.
Source : Le Monde.fr