Tokyo 1964, lorsque les Jeux olympiques étaient une fête pour le Japon

Questionné au Parlement japonais, il y a quelques semaines, sur la raison du maintien des Jeux olympiques de Tokyo 2021 en dépit des risques liés à la crise sanitaire du Covid-19, Yoshihide Suga s’était lancé dans un vibrant récit de la joie qu’il avait ressentie adolescent lors des Jeux de 1964. Eludant la question, le premier ministre a joué de l’image de ces JO qui restent pour les Japonais un moment charnière de leur histoire : leur pays, vaincu et humilié à la fin de la seconde guerre mondiale, relevait la tête et recouvrait son honorabilité en renouant avec « la simultanéité mondiale », selon la formule du philosophe Kojin Karatani.

Il était tentant pour les dirigeants du début du XXIe siècle de chercher à ressusciter cette euphorie quasi unanime pour célébrer le « Japan is back » lancé en 2013 par le premier ministre Shinzo Abe, proclamant la fin d’une longue période de stagnation de l’Archipel. Tokyo posa en 2009 sa candidature pour les JO de 2016, mais ceux-ci allèrent à Rio de Janeiro. M. Abe revint à la charge quelques mois après la triple catastrophe de mars 2011 (séisme, tsunami et accident nucléaire à la centrale de Fukushima). Il s’agissait cette fois de tourner la page de ces désastres. Tokyo obtint les Jeux mais l’épidémie de Covid-19 devait faire voler en éclats le scénario idéal imaginé pour faire place à la crainte d’une nouvelle vague de contaminations à la faveur de l’événement. La magie des Jeux ne fonctionnait plus.

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Les JO, lors desquels se disputent internationalisme et chauvinisme, ont été la grand-messe où se joue depuis plus d’un siècle la relation particulière à l’Occident du premier pays d’Asie à s’être modernisé. Une relation complexe, dans laquelle s’enchevêtrent des sentiments contradictoires de menace et d’admiration, d’infériorité et de fierté.

Deux éditions des JO ont ponctué ce cheminement : Berlin en 1936 et Tokyo en 1964. A Berlin, les Japonais eurent le sentiment d’avoir franchi une étape dans leur quête d’égalité avec l’Occident. La prouesse d’un pays sortant du féodalisme – qui avait risqué d’être dépecé comme la Chine et était devenu en un demi-siècle un Etat dont les puissances impérialistes devaient tenir compte – avait certes de quoi satisfaire l’orgueil national japonais. Mais il manquait à ce nouveau venu un dernier geste pour être l’égal de celles-ci : le rejet en 1919 de sa proposition d’inscrire l’égalité des races dans la charte de la Société des nations, que les vainqueurs de la Grande Guerre (dont le Japon faisait partie) étaient en train de rédiger, avait été ressenti comme un camouflet.

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Source : Le Monde.fr

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